Dominique Forget, L’Itinéraire, Montréal, le 15 janvier 2014
Les éditeurs de livres et de jeux ont trouvé un filon pour conquérir le marché des baby-boomers : la peur de la maladie d'Alzheimer. Mais ne perdez pas la tête. Leur efficacité n'est pas prouvée. Déduction, raisonnement, calculs … Si muscler votre mémoire ne peut pas faire de mal. Ce type d'entraînement ne protège pas contre les affronts du vieillissement ou les maladies cognitives.
Ces jeux en valent-ils la chandelle? «Pourvu que les attentes soient réalistes», met en garde le Dr Christian Bocti, neurologue, professeur et chercheur à la Clinique de mémoire et au Centre de recherche sur le vieillissement de l'Université de Sherbrooke. «De nombreuses études scientifiques démontrent qu'exercer ses méninges en faisant des mots croisés, en résolvant des sudokus ou en apprenant une nouvelle langue par exemple aide à ralentir légèrement le déclin cognitif chez les personnes âgées. Mais attention: rien ne prouve que cette gymnastique cérébrale aide à prévenir la maladie d'Alzheimer.»
Aux États-Unis, un vaste projet de recherche, baptisé ACTIVE (pour Advanced Cognitive Training for the Independant and Vital Elderly), a porté sur ce sujet. Des experts en psychologie ont recruté 2 800 personnes âgées de 74 ans en moyenne, toutes en bonne santé mentale et cognitive. Elles ont participé à jusqu'à dix séances d'«entraînement cérébral» de 60 à 75 minutes chacune, réparties sur cinq à six semaines. Les exercices visaient à entraîner soit leur mémoire, leur capacité de déduction ou leur vitesse de raisonnement.
Les résultats ont démontré qu'immédiatement après la série d'entraînements, les performances cognitives des participants s'étaient sensiblement améliorées. Même que les effets se faisaient encore légèrement sentir cinq ans plus tard : ceux qui avaient entraîné leur capacité de déduction se débrouillaient mieux dans les tâches quotidiennes, comme cuisiner ou tenir une comptabilité. «Les résultats étaient modestes, mais significatifs», selon la psychologue Sherry L. Willis, professeure à l'Université du Texas, qui a piloté l'étude menée entre 1998 et 2004.
Autre bonne nouvelle pour les amateurs de jeux : une étude, dont les résultats ont été publiés en 2010 dans la revue américaine Neurology, conclut que de se casser la tête à résoudre des mots croisés, des sudokus ou autres jeux de ce genre peut retarder l'apparition de la maladie d'Alzheimer. Sur les 1157 personnes âgées suivies pendant près de 11 ans, 148 ont développé la maladie. Mais les personnes plus actives sur le plan cognitif l'ont développée plus tard que les autres. Attention toutefois : passé un certain stade, leurs fonctions cognitives ont aussi décliné plus rapidement que chez les autres malades.
«Probablement que le fait d'exercer ses méninges permet de compenser pendant un certain temps pour les lésions qui apparaissent dans le cerveau des personnes qui développent l'Alzheimer, croit Robert S. Wilson, neuropsychologue et chercheur au Rush Alzheimer's Disease Center de Chicago, qui a mené cette recherche. Mais une fois que la maladie atteint un point critique, cette béquille ne tient plus, et tout s'écroule.»