La Martre : deux solitudes à rapprocher

Geneviève Gélinas, GRAFFICI, Gaspésie, janvier 2014

Peu de villages gaspésiens peuvent se vanter de compter une aussi forte proportion de nouveaux arrivants que La Martre. Mais les anciens et les « néos » y vivent dans deux univers parallèles qui gagneraient à se rapprocher, croient certains.

Le village de 250 habitants a vu entre 40 et 50 nouveaux s’installer depuis dix ans, selon des estimations locales. Pendant que plusieurs communautés de la Haute-Gaspésie se vidaient, la population de La Martre s’est presque maintenue entre 2006 et 2011 (-3 %). Plusieurs « néo-Martriens », avec famille et enfants, ont fini par peupler l’école du village voisin de Marsoui. Quant à Cap-au-Renard, voisine incluse dans La Martre, l’endroit agit comme un aimant pour plusieurs néo-Gaspésiens soucieux d’environnement et d’agriculture locale.

Marie-Eve Paquette, une jeune mère de famille, a acheté une maison au coeur de La Martre après un « coup de foudre » pour le village il y a trois ans. Au moment de la visite de GRAFFICI, elle cloue du bardeau sur sa façade pendant que sa petite dernière, bien emmitouflée, dort dans la poussette. Elle et son conjoint possèdent une érablière, où ils laissent chasser les gens du coin. Des échanges sous forme de viande d’orignal et de tire d’érable s’ensuivent.

Mais Mme Paquette estime être l’une des rares nouvelles à avoir ce genre de « porte d’entrée » chez les natifs. « Il n’y a pas beaucoup de mélanges. Les « néos » ne vont pas au bingo du village, et on ne voit pas beaucoup des Martriens de souche aux activités culturelles de Cap-au-Renard », illustre-t-elle.

Mme Paquette, qui travaille auprès des jeunes, est à même d’observer que les préjugés et l’incompréhension existent, et des deux côtés. « Les enfants ne se gênent pas pour répéter ce que disent leurs parents, dit-elle. C’est clair qu’il y a de la xénophobie, mais ce que disent les « néos » des Martriens de souche n’est pas nécessairement mieux. »

Jocelyne Cleary, propriétaire du magasin général, dit accueillir les nouveaux avec plaisir dans son commerce. Mais elle confirme que « néos » et anciens se mêlent très peu. C’est une question de culture, selon elle. « Le bio, c’est moins notre affaire. » Est-ce grave, que les deux groupes soient séparés ? « Si on se connaissait mieux, on se comprendrait mieux et il y aurait moins de malentendus », croit Mme Paquette.

En 2012, cinq des six conseillers municipaux – tous des « néos » – ont démissionné en bloc, en conflit avec la mairesse de l’époque. L’épisode a laissé des traces. « On était un conseil de « néos », et ça a fait peur à bien du monde, estime Gregory Jean-Baptiste, l’un des conseillers démissionnaires. Après ces événements, le clivage s’est renforcé entre nouveaux arrivants et natifs. Une ligne s’est tracée dans le sable. Certains m’ont dit que ça avait fait reculer de 30 ans le processus d’intégration. »

Claudette Robinson, ex-mairesse défaite le 3 novembre dernier, a complété son mandat avec un conseil réélu entièrement « de souche ». « Avec les gens d’ici, on n’a pas de contradictions, dit-elle. C’est difficile d’apporter des nouvelles choses sans apeurer les gens. Il faut leur expliquer longtemps que c’est pour le développement, pas pour anéantir le passé. […] J’accueille les nouveaux à bras ouverts, poursuit Mme Robinson, mais il faut qu’ils prennent le temps de nous regarder avant d’essayer de tout changer. »

Le conseil municipal élu le 3 novembre est formé exclusivement de Martriens de souche, à une exception notable : le maire, Michel Laperle, installé à La Martre depuis 2008. Selon lui, son élection prouve l’ouverture aux nouveaux venus. Il n’estime pas nécessaire de travailler à des tentatives de rapprochement. Éva Vallée, 72 ans, ancienne maître de poste de Cap-au-Renard, a de bonnes relations avec ses voisins. La raison en est simple : « On se parle. Il faut prendre le temps de faire connaissance, ne pas se faire une opinion trop vite. »

 

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