Michaël Lessard, Droit de parole, Québec, décembre 2013
Occupons Québec a soulevé bien des passions quand des gens ont installé un campement sur la place de l’Université-du-Québec du 22 octobre au 22 novembre 2011. Un des participants d’Occupons Québec, André Bérubé, a poursuivi la Ville à la Cour des petites créances.
Même si ce sont les petites créances, les questions abordées sont pourtant grandes. M. Bérubé a choisi cette cour pour son coût accessible et l’absence d’avocats. Il a demandé le maximum de compensation possible, soit 7 000 $, surtout pour dommages exemplaires et punitifs.
Camping ou manifestation ?
Le plaidoyer de M. Bérubé a commencé en insistant sur le fait qu’il s’agissait d’une manifestation de longue durée et non d’un simple campement. Inspirées par les Indignés en Espagne et par l’action d’Occupy Wall Street, des actions d’occupation citoyenne auraient eu lieu dans environ 800 villes à travers le monde. Le mouvement dénonce en particulier l’influence antidémocratique de la haute finance, les injustices sociales et insiste surtout sur le désir d’une démocratie inclusive au lieu de la démocratie représentative accusée d’être corrompue. « Le campement faisait partie du message et représentait le droit à l’espace public face au déficit démocratique », affirme M. Bérubé. Pour les occupants, démanteler le campement, c’était réprimer une manifestation protégée par les chartes des droits et libertés.
M. Bérubé estime aussi que la Ville ne savait pas quel règlement invoquer pour mettre fin à leur action politique et c’est pourquoi elle aurait adopté un nouveau règlement en juin 2012 qui interdit d’installer quoi que ce soit dans un parc public sans sa permission. Selon le plaignant, « la Ville n’avait aucune emprise juridique » et « elle devait nous tolérer ».
Les occupants se sentaient harcelés par la Ville
Le matin du 1er novembre 2011, un petit feu a brûlé le coin d’une tente. Dans un contexte où des animateurs de la radio CHOI-FM demandaient « qu’on fasse le ménage » et traitaient les occupants de « parasites », cet incident aurait mis le feu aux poudres. Selon les préventionnistes en incendie qui ont témoigné pour la Ville, des inspections avaient lieu environ tous les deux jours. Ils ont confisqué un système de son, les pancartes affichant des messages citoyens, les crayons, des sachets chauffants pour les mains, etc. Selon une des préventionnistes, les pancartes étaient dangereuses en cas de vents forts. « N’est-ce pas très particulier comme saisie ? J’estime que la Ville voulait nous empêcher de continuer cette manifestation », plaide M. Bérubé.
Les témoins d’Occupons Québec ont affirmé avoir toujours obtempéré aux demandes techniques de la Ville, comme bien espacer les tentes, tenir le foyer à l’écart de toute structure, etc. Il y a eu quelques rassemblements du public quand la Ville a démantelé une cabane en bois (cusine) et a confisqué une corde de bois. Les préventionnistes ont aussi reconnu que les occupants avaient été coopératifs.
Les toilettes publiques, au bord du campement, furent verrouillées, même de jour. Selon M. Perron, « le SPVQ a fermé les toilettes parce que des crimes s’y commettaient parfois. Cela n’avait rien à voir avec Occupons Québec ». Ces toilettes ont été rouvertes après la fin du campement.
Les fouilles des tentes sans mandat
Une bonne partie du procès a porté sur l’inspection des tentes personnelles sans mandat ou motif urgent. Les préventionnistes venues témoigner jurent n’être jamais entrées dans les tentes fermées sans la coopération des occupants. Or, de son côté, M. Bérubé jure qu’il refusait clairement l’accès à sa tente et dénonçait l’absence de mandat, mais qu’un policier l’aurait menacé d’arrestation pour obstruction s’il bloquait l’accès à sa tente.
« Dès le départ, on voulait mettre fin à ce camping »
M. Jacques Perron, qui représentait la Ville, a d’abord affirmé que « le campement nuisait à la sécurité des gens ». Selon la défense, il n’était pas sécuritaire pour les occupants et le public et le matériel en place devait être retiré en raison du règlement sur les nuisances. Il a rappelé que le maire Labeaume a exprimé sa sympathie au mouvement, mais que « dès le départ, le 3 novembre, la Ville a décidé que le campement devrait être démantelé ».
M. Perron a réitéré la position de la Ville, soit celle que le maire a déclarée à plusieurs reprises quand les occupants étaient venus parler à l’hôtel de ville. Pour le maire, c’était du « camping dans un parc », cela était inadmissible et ce moyen d’action nuisait au message citoyen des occupants. Pour la Ville, les gens pouvaient manifester à longueur de journée et utiliser l’espace librement, pourvu qu’ils ne dorment pas dans le parc et n’installent aucun équipement. Un règlement de la Ville de Québec interdit de dormir dans un parc, règle d’ailleurs critiquée par des organismes venant en aide aux personnes itinérantes. Pour M. Bérubé, juger qu’il s’agit de « camping » et d’un moyen d’action inefficace est une position subjective, une opinion, qui ne pouvait justifier de brimer leur forme d’expression démocratique.
La véritable question de droit
Le juge a rappelé que certaines limites peuvent être imposées aux droits et libertés. En vertu de la jurisprudence canadienne, le juge devra évaluer si les limites imposées par la Ville étaient «acceptables dans une société libre et démocratique ».
Les manifestations pacifiques sont protégées par la Constitution et peuvent donc marcher dans la rue par exemple. Par contre, est-ce que notre société accepte qu’une manifestation soit une occupation de longue durée ?
« Il faut déranger un peu »
M. Bérubé estime que la jurisprudence reconnaît que les manifestations doivent « déranger au moins un peu ». Les occupants plaident que leur action n’était pas nuisible et ne dérangeait pas les gens autour qui circulent plutôt dans le Jardin Saint-Roch. Même à l’époque, il était flagrant que ce mode d’action pouvait déplaire à la Ville, mais les occupants espéraient que les droits constitutionnels allaient amener les mairies de Québec et de Montréal à tolérer plus longtemps le mouvement. Les occupants espéraient aussi parler à la Ville de Québec pour établir avec elle un espace public.