Daniel Pezat, Le Reflet du canton de Lingwick, décembre 2013
La fin de semaine passée, je suis allé en ville, à Montréal. Une invitation à un bon souper en bonne compagnie, une occasion de refaire le monde. La gare routière de Sherbrooke. Me voici déjà anonyme. Chacun dans sa bulle, les écouteurs sur les oreilles ou le nez sur un téléphone. Deux heures dans la grisaille de ce début d'hiver. Le fleuve, au loin dans le brouillard, sur les flancs du Mont-Royal, les gratte-ciels de Montréal. Quelques rues plus loin, le terminus est là. Après les escaliers mobiles, c'est la station centrale du métro. Pour le malvoyant que je suis, une course à obstacle à venir. Je demande mon chemin No parla francés!, pas de chance, une autre personne Sorry I don't speak french!. Montréal la cosmopolite… Grrr! Finalement, une agente de sécurité, probablement d'origine caraïbe ou antillaise, me met dans la bonne direction.
Pour quelques sous, des quêteux se font portiers, d'autres musiciens ou simplement tendent leurs gobelets. Cette misère me gêne. Demain, je verrai des sans-abris poussant leurs charriots, fouillant les poubelles ou dormant sur un carton à l'abri du vent. Ils sont trente mille à Montréal. J'ai honte! Comment un pays riche peut-il laisser des gens dans la rue? On me dira que pour certains, c'est un choix. Crever de faim peut-il être un choix? En dix minutes, je viens de voir l'autre moitié du Québec. Urbain, international et miséreux.
J'ai oublié, il y a les odeurs. Montréal sent les frites, l'essence, bien sûr mais surtout la friture. Le métro, ce serait plutôt les parfums des unes et des autres, pas toujours subtils, à l'occasion, agressifs. Les stations s'égrènent, les passagers sont occupés par leur tablette électronique ou leur cellulaire, des étudiants lisent leurs notes. J'essaye de déchiffrer le nom des stations. Après un dédale de couloir et d'escaliers mobiles, la sortie. Je suis accueilli par un cône orange et une poubelle qui déborde. La rue est en reconstruction et les restaurants fast-food ne s'occupent pas des poubelles. Bienvenue à Montréal, capitale des travaux publics. Autour de moi, toutes les langues et les couleurs de peau se côtoient sans, apparemment, se voir. Se rencontrent- ils quelque part?
Milieu de l'après-midi, il y a du monde partout. Oui je sais, c'est le propre des cités, mais je me sens loin de ma grange. La ville, ce n'est pas que la misère, la malpropreté ou les rues encombrées. C'est aussi les distractions et pour moi des lieux à visiter. Voir l'univers des étoiles et un documentaire sur un écran géant m'occupent une bonne partie du lendemain. Il y a aussi les musées, voir et découvrir ne me lasse jamais.
Le temps passe vite; j'en oublie presque que l'on m'attend pour souper. J'ai rendez-vous avec mes amis dans un restaurant tunisien de l'est de la ville. Une dizaine de stations de métro plus loin, me voici à deux pas de mon lieu de rencontre. Il fait sombre, je ne connais pas ce quartier. Toute une faune étrange semble avoir élu domicile dans ce coin de la ville. Les rues ne sont pas désertes, tout le monde a l'air de trouver l'ambiance normale; dans des autos faiblement éclairées, des conciliabules, de probables transactions. Les K -Way et le capuchon rabattu semblent très à la mode par ici. J'avoue, je ne suis pas plus rassuré que cela. Il me semble que je serais plus à l'aise si je rencontrais un ours au coin du bois. Au moins, je saurais quel comportement adopter. Je fais comme les autres quidams, je passe mon chemin. Le restaurant est là, je pousse la porte et rejoins la tablée.
Salutations et embrassades, je leur fait part de ce que j'ai vu, tout le monde rit : voyons, arrive en ville, ce ne sont que les dealers du coin! Ah bon! Drôle de monde dans un drôle de quartier. Les discutions s'enchaînent. Tout y passe : le dernier film, la politique, la charte… Nous sommes pour la plupart d'origine émigrante: Japon, Europe de l'Est, Maroc, Afrique centrale et Québécoise. Les échanges sont vifs et colorés. Les accents se mêlent et se démêlent. L'amitié prend le dessus et nous portons un toast au pays que nous aimons.