Quartier Saint-Sauveur victime d’une labeaumerie

Marc Boutin, Droit de parole, Québec, le 13 décembre 2013

On ne peut assister au déclin d’une place publique au coeur de Saint-Sauveur sans crier « au secours », sans en vouloir à ceux et à celles qui ont joué « jusqu’après l’élection » le jeu du secret quant à la fermeture appréhendée du centre Durocher. Le parc et le centre Durocher forment un ensemble à vocation communautaire en plein centre du quartier et cet ensemble n’est ni interchangeable, ni amovible. La valeur de cet îlot urbain pour les gens de Saint-Sauveur tient à son rôle historique, à sa situation idéale, aux multiples services de proximité qui l’entourent et surtout, surtout, au fait qu’il appartient — et a toujours appartenu — à tout le monde.

 

La Ville joue un rôle délétère

 

Le centre Durocher se trouve sur l’emplacement des halles Saint-Pierre (1888), un édifice qui, jusqu’en 1945, sert de marché public, de lieu de rassemblement et de loisirs et autour duquel se regroupent d’autres édifices publics, entre autres, au XXe siècle, le cinéma Laurier. Le parc et le centre ont conservé jusqu’en 2013 leur pouvoir de rassemblement : maison des jeunes, comité de citoyens, Le Pignon bleu, pharmacie, halte-garderie, restaurants asiatiques, Intermarché, Maison Revivre, pub Chez Girard sont à proximité. Bien sûr, la rue Saint-Vallier a perdu son comptoir postal et sa caisse pop et elle n’a toujours pas de succursale de la Société des alcools. Mais le rôle de la Ville n’est certes pas d’accentuer la débandade.

Or, c’est justement ce qu’elle fait en voulant démolir, sans consultation publique préalable, le centre Durocher. Et elle tente de procéder en cachette, sachant très bien que la population s’opposerait. On a là l’exemple type d’une labeaumerie : une trahison urbaine, une ruse qu’un maire ou un de ses complices commet auprès d’un groupe de citoyens sans méfiance.

 

La force d’une place centrale

 

La Ville voudrait destructurer le quartier qu’elle n’agirait pas autrement. Expatrier les fonctions centrales de loisirs et de rassemblement vers la périphérie, c’est liquider la force de la centralité, un principe de cohésion pour la vie de quartier.

Dans aucun autre quartier de Québec on ne peut trouver une place centrale aussi convainquante que dans Saint-Sauveur. C’est une telle place qui manque au faubourg Saint-Jean-Baptiste et aux quartiers Limoilou et Montcalm, c’est ce que Saint-Roch a perdu avec l’horrible hôtel (au nom tout aussi horrible) Tryp Pur qui bloque la vue entre l’église et la bibliothèque. La cité intra-muros a bien sa place de l’Hôtel- de-Ville et la basse-ville, sa place Royale, mais dans les deux cas, la vie résidentielle est exsangue et la vie familiale inexistante. En revanche, au coeur de Saint-Sauveur, un équilibre (toujours fragile) existe entre fonctions centrales, services aux familles, groupes populaires, commerces de proximité et espace résidentiel. Et la présence du centre Durocher, quels que soient ses défauts, est essentiel au maintien de cet équilibre.

 

La question du logement social

 

Quant à la proposition de remplacement du centre Durocher, avant d’y souscrire, il faut se remémorer un évènement récent de la scène locale : l’arnaque ratée de l’Îlot Irving par GM Développement dans le faubourg Saint-Jean. L’histoire se répète : on propose un projet de logement social à la communauté pour mieux lui faire avaler une couleuvre.

Les questions d’aménagement, qui sont de l’ordre de l’intérêt général et universel, doivent être traitées en amont des questions de mode de tenure. Le logement social ne doit pas servir de monnaie d’échange pour contrevenir à certains principes de base de l’aménagement urbain, comme le respect des règles de zonage et la sauvegarde des places publiques et des fonctions centrales et communautaires qui s’y rattachent. Personne n’est contre la vertu, personne n’est contre le logement social mais ça dépend où et comment.

On n’aurait jamais pensé, quand il était vétuste, remplacer le Palais Montcalm par du logement social même si le terrain appartenait à la Ville. Pourquoi ? Parce que le rôle public que joue le Palais Montcalm pour l’agglomération de Québec est inséparable du dynamisme de la place d’Youville. La comparaison souffre peut-être d’un certain décalage mais, à une échelle moindre, le même raisonnement s’applique au centre Durocher. Le rôle public qu’il joue pour le quartier est inséparable du dynamisme de la grande place publique de Saint-Sauveur, la place Durocher.

 

« Que faire » comme disait Lénine ?

 

D’abord, et ça presse, des consultations publiques pré-décisionnelles comme le réclame le Comité de sauvegarde du centre Durocher. L’édifice doit être « désamianté » (il semble que cela soit faisable à un prix raisonnable), tout comme il faut consolider la structure et améliorer la sonorisation de la grande salle. Si des fonctions de loisirs, autrefois assurées par le centre Durocher, sont maintenant installées au centre Mgr Bouffard, qu’elles y restent, et trouvons autre chose pour le vrai centre Durocher : une succursale de la bibliothèque Gabrielle Roy, une garderie, un lieu pour le conseil de quartier. Aux consultations, la population de Saint- Sauveur précisera elle-même ses besoins.
 

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