Le magnétisme de Kim Thúy

Marie-Lise Rousseau, L’Itinéraire, Montréal, le 1er janvier 2014

On dit d'elle qu'elle a une beauté vive et un charme ensoleillé. Qu'elle est irradiante de bonheur, d'une force pétillante. Tout le monde est sous le charme de Kim Thúy et de son écriture sensorielle, fine et délicate. Malgré la pluie d'éloges qui lui tombe dessus, elle refuse le titre d'écrivaine. Elle dit aimer partager des mots, tout simplement. C'est ce qu'elle fera lors de son Party pyjama littéraire les 16 et 17 janvier en compagnie de ses comparses Alain Labonté, Claudia Larochelle et de leurs invités. Parions que son charme magnétique embrasera le public du Lion d'Or

Son histoire est connue. À dix ans, Kim Thúy arrive au Québec avec sa famille après avoir survécu à la fuite en boat people du Vietnam et vécu dans un camp de réfugiés en Malaisie. Trente-six métiers plus tard, dont ceux de couturière, d'avocate et de restauratrice, elle publie trois ouvrages encensés tant par la critique que par le public; Ru, prix du Gouverneur général, À toi et Man.

Son succès, elle l'attribue entièrement à sa chance d'avoir été au bon endroit, au bon moment. Et son talent, n'en est-il pas un peu responsable? Elle affirme tout bonnement que des tonnes de bons livres sont publiés chaque année et tombent entre deux chaises, faute d'une mise en marché efficace. Humble, elle répète que l'écriture n'est qu'un hobby dans sa vie et non un métier. Elle dit éprouver un pur bonheur à jouer avec les mots, tout simplement. Quand je lui demande quel sera son 37e métier, elle hésite longuement. Aujourd'hui, l'écriture l'enchante, mais qui sait de quoi demain sera fait?

L’important c'est qu'elle y trouve du plaisir. Le défi semble réaliste, car un rien l'émerveille. Kim Thúy possède une aptitude au bonheur. «Hier, j'ai pris le métro et un musicien jouait du violon, je lui ai donné des sous et je lui ai souri. Ça a fait ma journée. Quelle chance on a d'avoir accès à la beauté comme ça!», dit-elle de sa voix enjouée au bout du fil. Cette beauté, elle veut la transmettre au plus grand nombre. Passionnée, quand elle aime un livre, elle l'aime d'amour et ne se gêne pas pour bombarder ses amis d'extraits de texte par courriel. «Quand un livre me parle, je l'apprends presque par coeur, confie-t-elle. Elle me le prouve peu après, alors qu'elle me récite de mémoire des extraits qu'elle partagera avec le public du Party pyjama littéraire.

La voix de Kim Thuy s'illumine en parlant de Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès, un dialogue entre un vendeur de drogue et un drogué qu'elle lira lors de l'événement. «On dirait un discours amoureux. C'est difficile de saisir qui parle entre le vendeur et l'acheteur, c'est merveilleux!» L’idée originale du Party pyjama littéraire lui est venu il y a près d'un an. Elle voulait alors carrément inviter le public dans sa chambre, chez elle, mais cela était un peu trop farfelu à accomplir. Elle a donc contacté Alain Labonté qui a concrétisé le projet dans un plus grand espace.

 

Thérapie gratuite

 

N'ayant aucune formation en littérature. Kim Thúy se sent imposteur dans son domaine. «Littérature est un grand mot pour moi, je n'y comprends pas grand-chose. J'ai toujours lu de façon instinctive», admet-elle, parlant avec aisance de cette fragilité. C'est pourquoi elle adore donner des entrevues à des journalistes, qu'elle voit comme des thérapies gratuites. «Ça m'apprend énormément sur moi-même. Ceux qui m'interviewent ont souvent fait une analyse de mon livre et me font découvrir des choses que je ne voyais même pas!»

Décidément Kim Thúy est l'opposée d'une tête enflée. Elle parle de ses créations d'art visuel avec la même nonchalance qu'elle parle de ses écrits. La nuit, entre 23h et 2h du matin, pendant qu'elle ne se sent pas coupable de «faire des niaiseries au lieu de travailler ou de laver la vaisselle», elle joue avec des ciseaux, des fils à coudre et des toiles. Une de ses créations a été vendue au montant de 950 $ à un encan pour Le Chaînon, ressource d'hébergement pour femmes itinérantes.

 

De la tolérance à la joie

 

En novembre, elle a reçu le prix de la tolérance Paul Gérin-Lajoie, attribué à une personnalité qui «contribue au rapprochement, à la promotion des valeurs humanistes et à la lutte contre la discrimination». Quand elle a appris la nouvelle, elle courait pour attraper un autobus et entendait très mal au téléphone. Elle a donc compris qu'elle recevait «le prix de la joie». «Je me suis dit : c'est dont ben le fun, quelle belle idée!» Un prix qui serait amplement mérité, car Kim Thúy irradie la bonne humeur. L'enregistrement de notre entretien, parsemé de ses éclats de rire contagieux, le démontre amplement.

Mais quand elle a saisi le véritable nom du prix, elle s'est assombrie. «La tolérance, c'est endurer quelque chose qu'on n'aime pas, comme si on était pogné avec. Il y a quelque chose de très négatif dans ce mot On ne tolère pas l'autre, on l'aime ou on ne l'aime pas.» En élaborant son malaise face au mot tolérance, elle se rappelle sa visite au Chaînon. «Là-bas, ils ne tolèrent pas l'itinérance, ils aiment ces femmes. Tolérer, ce serait laisser les gens dans la rue et ne rien leur offrir, cesserait ne pas essayer de comprendre, ce serait ne pas faire ce pas de plus pour un rapprochement. À l'inverse, aimer c'est ce pas de plus pour créer un lieu pour les recevoir comme le Chaînon, c'est avoir un contact visuel avec eux, leur dire bonjour, tout simplement leur injecter un peu d'humanité.»

Son rapport face aux gens de la rue, Kim Thúy le retient d'une conférence de Marc Lévy. Quand il était petit, l'auteur de Et si c'était vrai… voulait donner de l'argent à un mendiant. Sa mère lui a dit qu'il pouvait le faire seulement s'il le saluait. Depuis, elle s'est donnée le devoir de faire de même et elle exige pareil de ses enfants. «Si on prend le temps, il faut bien le faire, et dans ce cas, ce n'est pas de la tolérance» , explique-t-elle.

 

«Rien ne me laisse insensible»

 

Quand je lui demande si l'itinérance est un enjeu qui l'interpelle particulièrement. Kim Thúy répond : «Beaucoup d'enjeux m'interpellent, aucun me semble plus important qu'un autre, car ils le sont tous. Rien ne me laisse insensible. Je vous parle d'itinérance, car vous êtes l’ltinéraire, mais je pourrais aussi vous parler d'autisme.»

Justement son fils Valmont, 11 ans, est autiste. Comment a-t-il changé sa vie? «Complètement. Un enfant nous change à la base. Mais lui réfléchit et communique différemment. Avec lui, j'ai eu la chance d'apprendre un autre langage. Je suis enrichie de cette expérience. Ça m'a obligé à ralentir pour aller au même rythme que mon fils.» Kim Thúy n'en veut à personne pour le manque de services pour les enfants autistes. Elle n'en ressent aucune injustice. «La vie est injuste de toute façon, il faut partir avec cette idée. Pourquoi, moi, j'ai survécu aux boat people? Plein de gens sont morts dans le fond de la mer et auraient pu faire beaucoup plus que moi pour la société. Moi, je ne fais rien de très utile, je ne suis pas médecin, je ne sauve aucune vie. La vie n'est jamais juste, mais il faut essayer de compenser un peu cette injustice.»

On aurait pu remplacer tolérance par indulgence dans le nom du prix Paul Gérin-Lajoie. Son ouverture d'esprit. Son regard sensible et son optimisme font d'elle la lauréate idéale. Humble, Kim Thúy répète que tout ce qu'elle fait, elle le fait d'abord et avant tout pour le plaisir. Croisons les doigts pour qu'elle trouve encore longtemps du plaisir à écrire, pour que dure notre plaisir de la lire.

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