Alain Charpentier, Journal Mobiles, Saint-Hyacinthe, le 4 décembre 2013
Le gouvernement du Québec a procédé à la remise de ses treize prix le 12 novembre dernier. Ces prix annuels sont décernés à des personnalités du domaine de la culture et des sciences. Le cinéaste Robert Morin – un ancien du cégep de Saint-Hyacinthe – était du nombre des lauréats.
Le prix Albert-Tessier, qui récompense une personnalité s’étant illustré dans le milieu du cinéma, lui a été remis pour souligner sa contribution majeure au cinéma québécois qui se traduit par une trentaine d'œuvres. Ce prix, qui existe depuis 1980, comporte une bourse de 30 000 $ ainsi qu’une médaille en argent réalisée par un artiste québécois. L’an dernier, le prix avait été décerné au cinéaste André Melançon. Ce n’est pas la première récompense que Robert Morin reçoit pour son œuvre. Soulignons qu’en 2009, il avait gagné le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques.
Une production variée, des œuvres dérangeantes
L’œuvre de Robert Morin détonne dans le paysage cinématographique québécois avec des films coups de poing qui ne laissent personne insensible. « Moi j’aime les films qui brassent la cage », affirme-t-il. « Tu sais les films qui frappent tellement fort que tu peux être pour trois, quatre jours à t’en remettre. » confiait Robert Morin à Mobiles en entrevue en 2005. En fait, il se donne pour mission de déstabiliser le spectateur en lui présentant un cinéma incommodant, dérangeant : « Le spectateur devient plus facile à manipuler si tu le déstabilises, explique-t-il, car il ne faut pas oublier que le cinéma, c’est un art de la manipulation. » Mais Robert Morin ne cherche jamais à choquer gratuitement : il y a toujours derrière chaque film la volonté de dénoncer une situation qui le touche ou le révolte, que ce soit le pseudo-biculturalisme canadien avec Yes Sir! Madame… (1994); les injustices faites aux Amérindiens dans Windigo (1994); le racisme dans Le Nèg’ (2002); la peur de l’Autre dans nos banlieues nord-américaines avec Que Dieu bénisse l’Amérique (2006).
Mais le cinéma de Morin présente aussi une dimension dramatique et psychologique qu’il ne faudrait pas négliger. Affectionnant particulièrement les huis clos, Robert Morin essaie souvent – à la manière des tragédiens – de respecter la règle des trois unités (temps, lieu, action) pour exploiter au maximum la tension dramatique qui en résulte. De cette manière, il explore les travers de l’âme humaine – notamment ce qui empoisonne les relations humaines – ce qui lui a permis de régler ses comptes avec son père mourant dans un film audacieux et plutôt intimiste : Petit Pow-Pow Noël (2005). Dans Papa est parti à la chasse au lagopède (2008), il fait en quelque sorte la psychanalyse d’un fraudeur notoire, Vincent Tremblay (derrière lequel il n’est pas difficile de reconnaître un Vincent Lacroix). La Réception (1989 – remake de Dix Petits Nègres, mais avec des grenouilles en caoutchouc à la place des statuettes) Quiconque meurt, meurt à douleur (1998) sont aussi des huis clos. Mais d’un film à l’autre, Robert Morin ne cesse de nous surprendre, comme en fait état son plus récent film, Quatre Soldats (inspiré du roman d’Hubert Mingarelli), un film plutôt positif qui rompt avec le registre habituel de Morin.
« C’est là que tout a commencé »
Rappelons que c’est au Cégep de Saint-Hyacinthe que Robert Morin a découvert le cinéma. « C’est là que tout a commencé », déclara-t-il en entrevue avec Mobiles. Lorsqu’il s’inscrit au Cégep de Saint-Hyacinthe, en 1968, Robert Morin ne sait pas trop quels cours prendre. Il choisit le cinéma, plus par paresse que par intérêt, en se disant que les cours allaient être relax. Il s’attendait à voir des westerns américains, des films de John Wayne par exemple… Erreur! Ses professeurs, Jacques Devault et Jean-Pierre Aubin, sont plutôt fervents d’expressionnisme allemand… Pour Robert Morin, c’est une révélation. C’est là qu’il attrape la piqûre pour le cinéma et il ne s’en est jamais remis depuis.