Bientôt à Québec : Un refuge pour les «travailleuses du sexe»

Gilles Simard, Droit de parole, Québec, novembre 2013

Ce qui distingue fondamentalement le projet de maison de répit du groupe L.U.N.E de certaines ressources pour femmes telles la Maison Charlotte ou la Maison de Marthe1, c’est qu’on se propose d’y accueillir à peu près n’importe qui, sans que ne soient appliquées les habituelles restrictions des refuges pour femmes. Une façon de faire plutôt rare dans le milieu tissé très serré du communautaire à Québec.

« Ça sera une sorte d’entre-deux entre la rue et la réinsertion, une chose qui manquait beaucoup à Québec, lance Amélie Bédard, jeune chargée de projet à l’œil pétillant, entourée pour l’occasion de Joeannie, Chantal et Maya, toutes trois ayant dansé, travaillé comme escorte ou fait de la « prosto » au centre-ville. Toutes trois, aussi, ayant connu la perte d’estime de soi et la déchéance morale et physique inhérentes au soi-disant « plus vieux métier du monde. »

« Moi, reprend Maya, une belle grande jeune femme aux multiples piercings qui se veut l’artiste du groupe, ce que j’aime de notre projet, c’est qu’il n’y aura pas de règlements trop sévères comme ailleurs dans le milieu… On va prendre les filles là où elles sont rendues » dit-elle, en faisant allusion à ses propres expériences d’itinérante et de consommatrice de drogues injectables, à l’époque où elle faisait la tournée entre la maison Charlotte, la W des femmes et d’autres ressources du genre. « Le problème, dit Maya, c’est que je fittais pas dans ça. J’étais encore une fille de rue et de méthadone…J’étais pas encore prête à arrêter sec comme ça. »

« Ce qu’on veut, glisse à son tour Chantal, la comptable de l’équipe, c’est accueillir sans condition. Moi quand j’étais dans le creux de la vague, quand j’en étais rendue à faire des pipes pour 20$, c’est pas de sermons dont j’avais besoin, c’est d’amour et d’accueil… Donc, on va accueillir puis, tant mieux si on crée une étincelle, une prise de conscience. Si c’est le cas, là on va référer la fille aux bons endroits, aux bonnes personnes » dit-elle, en parlant de leur centre de documentation et des multiples organismes auxquels L.U.N.E est associé.

Dans la foulée, Chantal avouera qu’elle peut enfin, grâce au projet de drop in, voir ses aventures passées non pas comme des échecs, mais bien comme autant d’expériences pouvant maintenant devenir utiles à d’autres filles qui voudront elles aussi émerger du brouillard.

 

Comment la communauté réagira-t-elle?

 

La maison de répit de six lits, exclusivement réservée aux femmes et qui sera opérée par des intervenantes et des pairs aidantes (d’ex-femmes prostituées), sera vraisemblablement située dans l’un ou l’autre des quartiers Saint-Sauveur ou Saint-Roch. Cela dit, à la lueur d’autres expériences passées et compte tenu, par exemple, du tollé provoqué par le projet d’implantation d’un SIS2 à Saint- Roch, on pourrait penser que le drop in ne sera pas nécessairement accepté avec le même enthousiasme par tout le monde, une chose qui ne dérange pas trop Amélie, l’ancienne chercheuse universitaire à l’origine du projet.

« Il ne faut pas oublier, dit-elle, que c’est un projet expérimental d’un an et que nous ne sommes pas seules là-dedans. Outre le fait qu’on gère ça avec nos partenaires3, on a l’appui de la Ville, des policiers, du CRE et d’un grand nombre d’organismes du milieu. Bien sûr, les préjugés sont tenaces et… oui, probablement qu’il y aura des résistances, mais on ne doit pas s’arrêter à ça, sinon on n’avancera pas. »

« De toute façon, souligne Chantal, on est habituées aux préjugés et au double regard des gens. Bon, c’est sûr qu’on ne va pas tout de suite se garrocher comme ça, n’importe comment, sur la place publique. On va prendre le temps et on va prouver aux gens que c’est un vrai besoin, notre affaire… »

« Faut pas que tu oublies, intervient Joeannie, que nous autres aussi on a des caractères forts. Ça fait que si, comme tu le suggérais, on avait des problèmes avec la communauté, si on était prise à partie par les radios poubelle, comme tu les nommes, et bien moi, je ne courberai pas la tête. C’est certainement pas eux autres qui vont nous empêcher de fonctionner. Oui, la société est hypocrite, oui elle a des oeillères, mais quand même…

 

Un besoin, ça reste un besoin!

 

Pour donner une dernière chance Et Joeannie d’ajouter, en faisant allusion à la jeune Joëlle Tchernish, décédée il y a deux ans et retrouvée à moitié nue dans un stationnement : « Dans une société soi-disant évoluée comme la nôtre, y a personne qui mérite de mourir gelée dehors. Tout le monde — peu importe sa provenance, sa couleur et sa condition sociale mérite d’avoir une fin de vie intéressante! »

Comme de bonne, à la suite de Joëlle Tchernish, on aurait pu aussi rajouter les noms de toutes ces femmes (et aussi de ces hommes) dont le parcours s’est tragiquement arrêté dans le banal anonymat d’une chambre crasseuse, le long d’un banc de neige sale, voire dans l’eau glauque et silencieuse de la rivière Saint-Charles. Autant de tragédies humaines qu’on aurait peut-être pu éviter grâce à une dernière chance, un dernier refuge.

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