Geneviève Gélinas, GRAFFICI, Gaspésie, décembre 2013
Alors même que les Gaspésiens remettent en question leur dépendance au pétrole, ils sont de plus en plus nombreux à conduire des camionnettes ou des véhicules utilitaires sport (VUS). Nécessité ou caprice ?
Les Gaspésiens ont toujours utilisé des camions légers, qu’ils soient débroussailleurs, pêcheurs ou chasseurs. Mais pendant que la population stagnait ces sept dernières années, le nombre de véhicules de ce type grimpait de 25 %. La consommation d’essence a suivi le même chemin dans la région : de 1 255 litres par habitant en 1997, elle est passée à 1 388 litres en 2010, soit une hausse de 10,6 %, indiquent des chiffres de la Régie de l’énergie.
Deux véhicules sont stationnés dans la cour de Michel Desjardins et Jacqueline Côté, qui habitent un quartier résidentiel du centre-ville de Gaspé : une camionnette Ford F-150 et une Mazda Tribute (un VUS). La camionnette est arrivée dans la vie de M. Desjardins en 2000, en même temps qu’une caravane, explique-t-il. « On s’était dit : à la retraite, on s’achète une fifth-wheel et on voyage. Avec la roulotte, la première question que tu te poses, c’est : “qu’est-ce que je prends pour tirer ça” ? » Quant à Mme Côté, elle a remplacé sa berline par un VUS il y a deux ans. « Notre rue monte en courbes. C’était surtout pour me rassurer en hiver », analyse-t-elle.
Il y avait 22 255 camions légers en Gaspésie en 2005. Leur nombre avait atteint 27 732 en 2012, soit 43 % des véhicules de promenade, selon la Société de l’assurance automobile du Québec. La Gaspésie compte maintenant presque un camion léger pour trois habitants, la plus haute proportion après la Côte-Nord et l’Abitibi-Témiscamingue. Conseiller depuis 19 ans chez Honda Gaspé, Marc Samuel est aux premières loges pour observer le phénomène. « Les gens pensent qu’ils ont besoin d’une traction intégrale pour la sécurité. […] Des fois, ils nous parlent de leur entrée de cour en côte. La personne est restée prise une fois, et ça lui prend un 4×4. » Pourtant, les routes ne se dégradent pas, admet M. Samuel. « Au contraire, c’était pire avant. Mais il n’y avait pas autant de VUS sur le marché. »
Chez Boulay Dodge Chrysler à Gaspé, les ventes de camionnettes (Dodge Ram) ont augmenté de 15 à 20 % dans les cinq ou sept dernières années, estime le concessionnaire André Boulay. « Les gens ont une tendance camping, plein air, dit-il. Les roulottes ont grossi et, en même temps, les voitures sont plus petites, avec moins de capacité de tire. »
Un concessionnaire qui préfère garder l’anonymat remarque aussi une tendance au « voisin gonflable », comme il l’appelle, soit un désir d’acquérir un véhicule aussi gros que celui du voisin. Le Conseil régional de l’environnement (CRÉGÎM) a mis le doigt sur nos travers dans son Plan d’action pour la réduction de notre dépendance au pétrole. « De par les moeurs, une grande part de l’utilisation de VUS, camionnettes, camions légers et grosses voitures dans la région ne l’est pas par nécessité», souligne ce plan publié récemment.
Les constructeurs automobiles font un marketing énergique pour promouvoir leurs véhicules, remarque Yanick Desbiens, du CRÉGÎM. « Il faut de la sensibilisation pour contrebalancer ce marketing, faire appel aux gens pour qu’ils reconnaissent s’ils en ont besoin ou pas. Il y a des arguments économiques et écologiques [en faveur de véhicules moins énergivores]. Ce sera ensuite aux gens de prendre leur décision. »