La charte des valeurs, un débat qui dérape

Réal Malouin, La Quête, Québec, novembre 2013

À son point de presse du 10 septembre sur le projet de la Charte des valeurs québécoises, le ministre Bernard Drainville annonçait: « On a décidé de protéger les enfants. On ne souhaite pas que les enfants soient exposés à quelque influence religieuse que ce soit.» Selon Robert Mager, professeur titulaire de théologie à l'Université Laval, cette simple remarque du Ministre fait apparaître un ressort essentiel de J'ensemble du projet de Charte, à savoir une vision profondément négative de la religion. Paradoxalement, le but avoué d'affirmer la neutralité de l'État n'est-il pas justement le respect et la liberté de conscience ct de religion?

D'emblée dans son Document d'orientation, le gouvernement a admis que divers aménagements sont possibles. Ce document affirme que «certains États interdisent le port de signe religieux uniquement à des catégories de leur personnel, alors que d'autres permettent la présence de symboles religieux dans l'espace étatique». Par ailleurs, Charles Taylor – professeur émérite de philosophie à l'Université McGiIl – affirmait récemment que « le paradoxe de la Charte, avec son interdit de tout signe trop visible dans le secteur public, est qu'en sauvant les apparences de la neutralité, elle la violerait dans les faits». Alors, on peut se poser légitimement la question: qui a mis le feu au torchon?

En 2011, le Conseil du statut de la femme dans son avis Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l'égalité réelle entre les femmes et les hommes refuse la laïcité ouverte proposée par la commission Bouchard-Taylor avec des arguments très singuliers, tels que la laïcité ouverte nourrit la fragmentation citoyenne en mettant l'accent sur les différences entre les personnes, plutôt que sur ce qui les unit; les symboles religieux ne devraient pas être visibles; les religions sont absolues, totalitaristes; les incroyantes et incroyants ne seront pas sauvés; rien ne différencie la religion catholique d'une secte, ils utilisent la violence physique et psychologique pour diffuser leur message et garder captives leurs ouailies.

Et il y a plus. Selon l'avis toujours, le port du voile est sexiste, odieux, dégradant; le hijab est tout sauf un simple bout de tissu; il est chargé de symboles religieux intégristes et même si la femme choisit librement (par naïveté) de porter le voile, le sens transmis par ce symbole demeure, car il dépasse la motivation propre des femmes qui le portent. Ce voile aurait donc une puissance magique et occulte! Dans ce contexte, nous comprenons mieux les récentes affirmations du ministre Drainville … tout comme les dérives et les peurs de certains citoyens et citoyennes dans un débat qui ressemble plus à un jeu cruel, où la loquacité prend le pas sur une recherche et une compréhension objectives de la vérité.
 

Le principal danger au projet d'une vraie neutralité de l'État est de nature idéologique. On tente de s'immiscer sournoisement dans les concepts de neutralité et de laïcité. L'athéisme ou le féminisme radical pourraient utiliser le concept de neutralité comme bouclier et fer de lance pour partir en croisade contre un envahissement de présumées hordes de barbares. La faiblesse d'une idéologie est que malgré un argumentaire percutant et qui semble convaincant, elle ne repose sur aucune base solide, mais peut jouer sur nos cordes sensibles; Le voile est taché de sang!; Vouloir conserver son voile serait du fanatisme! Ce type d'arguments n'est qu'une tentative d'instrumentalisation de la conscience collective. Sa force est de savoir convaincre par la peur pour atteindre des objectifs qui eux, en revanche, peuvent être bien précis. Ses adeptes pourront se croire légitimés de recourir à toutes sortes de moyens pour atteindre les objectifs ultimes de la doctrine, soit: le dénigrement, le mensonge, l'insulte et même la violence. Une sorte de fanatisme peut s'installer puisque tous les moyens sont bons pour atteindre des objectifs laïcs élevés au rang du Juste et du Sacré. Faut-il aller jusqu'à comparer le hijab à l'étoile jaune que portaient certains juifs?

Mon Larousse définit le prosélytisme comme un zèle ardent pour recruter des adeptes et pour tenter d'imposer ses idées. Qu'est-ce qui est le plus prosélytique? Un argumentaire haineux, basé sur un sentiment xénophobe ou la façon de porter un admirable foulard issu d'une tradition qui n'est pas la nôtre sur les épaules, autour du cou ou sur la tête? En tant que philosophe, je ne peux cautionner les affirmations sensationnalistes qui découlent de la simple superstition et qui briment notre droit à une véritable connaissance objective de la culture et de l'histoire humaine.
 

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