Sylvain Bérubé, Entrée libre, Sherbrooke, septembre 2013
De la « pop poubelle politique » bien déjantée, c’est ce que nous offre depuis 2007 le groupe montréalais Mise en Demeure. Leur troisième opus, Il pleut des pavés, s’écoute comme une trame sonore trash du Printemps québécois 2012. Présentation d’une catharsis musicale pour carrés rouges.
D’entrée de jeu, avec Libârté d’expression, passent dans le tordeur les conservateurs, les péquistes, les FECQuistes, les FEUQuistes, les bourgeois-bohèmes, les hipsters, les drogués apathiques et les anarchos-conformistes. Son refrain « t’as l’droit d’être contre la grève, mais on a l’droit d’te trouver cave » donne le ton. À noter que plus loin sur l’album, Léo Bureau-Blouin « y’était en mode solution, on était en mode ta yeule p’tit con » (Social-traitre) et Gabriel Nadeau-Dubois « Gab Nadeau Pierre-Karl Péladeau, rappelez-vous dans l’temps, vous étiez des militants » (GND) ne sont pas épargnés également.
Fantasmes défoulatoires
Les belles années dépeint le fantasme de « la fois qu’on a tué Jean Charest à Victoriaville » et In tha hood celui de « [mettre] un flic sur le hood de [son] char ». Puis, en écho, la chanson éponyme Il pleut des pavés se veut un retour « festif » sur la manifestation de Victoriaville (« fallait pas nous faire chier »), contrastant avec la gravité des événements s’y étant produits. En réponse aux critiques émises par Charest face à une telle banalisation de la violence, Critical hit rappelle que « dans la vraie vie […] la flicaille tire des balles pis ça t’en parles pas dans l’journal. »
Pour approfondir le sujet, la pièce Violence légitime, mon œil vient mettre en doute l’efficacité du pacifisme radical comme stratégie d’action politique pour combattre les injustices. « Quand y flingueront un cégépien un peu trop idéaliste, on va p’t'être se dire mine de rien, qu’y serait temps qu’on réagisse […] C’est pas des pacifistes qui vont changer l’histoire, on pitche des pavés et puis on brûle des chars (parce qu’on reste en beau câlisse, parce que ça reste des osties d’flics, au service des riches et des fachistes. » Semblerait donc que les membres du groupe soient en accord avec la thèse développée par Peter Gelderloos dans son essai How Nonviolence Protects the State (South End Press, 2007). D’ailleurs, en entrevue au journal 24 Heures, ils précisent leur pensée : « Nous croyons qu’il y a une certaine violence qui est légitime, mais qu’elle est dérisoire comparée à la répression de l’État et de la police. »
Le groupe engagé esquisse également la réalité sur le terrain pour les activistes. Filibuster présente sous forme de fable ce militant d’expérience ayant prêché d’excès de confiance (« Aurais-tu oublié de mettre des gants, Félix ? ») Autrement, la palme de l’hymne radical revient à la joviale La commune de Montréal au refrain entraînant (« Arrêtez-nous, on s’en fout, on s’est donné rendez-vous, tous nos amis sont en prison. »)
D’autres pièces de l’album abordent les « joies » du dumpster diving (Épicerie populaire), l’opulence crasse et la lutte des classes (Cadet Roussel), le néo-union-nationalisme (Mathieu Boycotté), la droite baloney et le concept « ville de Québec » (Maladie chronique, Accommodements raisonnables) et l’embourgeoisement HoMa style (Les condos de Noël).
Et puisque « le capital fait mal comme un poignard dru », cet album est téléchargeable librement sur le site du groupe anticapitaliste (contribution volontaire suggérée de 7 $).