Les démunis et le Projet K

Diane Morin, La Quête, Québec, octobre 2013

Quelques semaines après la catastrophe à Lac-Mégantic, la Ville de Québec faisait l'aveu dans les pages du Soleil du 29 juillet qu'elle n'était pas prête à affronter une crise majeure. Pour remédier à la situation et mieux s'outiller, elle lance le Projet K. K est le symbole employé pour indiquer la résilience d'un matériau, c'est-à-dire son aptitude à résister plus ou moins bien aux chocs. «Dans le contexte de la Ville, il s'agit de la résistance du Québec à une éventuelle catastrophe ».

Au cours des dernières années, j'ai pris le crachoir à plusieurs reprises pour sensibiliser mes collègues du milieu de l'itinérance, les autorités et la population, à l'importance de bien faire connaître les caractéristiques des populations démunies afin de réaliser des plans d'urgence réalistes. La Ville de Québec qui entreprend une mise à jour de ses plans d'urgence avec le Projet K se propose d'adapter sa réponse à la clientèle vulnérable. C'est essentiel selon moi pour éviter des non-sens, comme avec les plans de pandémie.

Les plans de pandémie tels que concoctés en 2006 et 2007 étaient articulés autour d'éléments suivants : une ligne d'appel 811, des consignes pour le traitement à la maison, des cliniques de vaccination de masse et, si besoin, une possibilité de confinement à la maison. Tous ces éléments posaient problèmes pour la clientèle itinérante qui n'avait pas de téléphone, pas de résidence, pas de moyens financiers ct pas de facilités de transport.

Des aménagements pour cette clientèle étaient nécessaires. Ce n'est pas quand le risque se concrétise et que la crise éclate que ce travail de documentation doit être fait. En période de crise, les autorités appliquent les plans déjà prévus et sont sollicitées de toutes parts. Durant la crise du HIN1, les organismes en itinérance se sont tout de même mobilisés et ont obtenu que des cliniques de vaccination se tiennent dans des refuges et qu'elles se poursuivent en dehors des périodes pandémiques pour conserver un bon taux de vaccination, chez cette clientèle cumulant plusieurs facteurs de risques (tabagisme, alcoolisme, immunodépression, maladies diverses …).

Des avancées en termes de sensibilisation ont eu lieu avec le projet de recherche EnRiCH de l'Université d'Ottawa, auquel ont participé la Ville de Québec et quelques organismes communautaires. Le projet visait à «augmenter la résilience parmi les populations à haut risque pour maximiser la capacité de prévention, d'intervention et de récupération en cas de catastrophe. Il semble que la Ville de Québec souhaite poursuivre en ce sens. C'est très bien, mais il faut aller encore plus loin et introduire une certaine capacité d'anticiper la situation qui prévaudra juste avant la catastrophe, et être en mesure de moduler la réponse.

Je m'explique. Il ne faudrait pas tenir pour acquis le niveau actuel de services en itinérance dans un tel plan, ni le contexte économique d'ailleurs. La situation pourrait se corser rapidement, si par exemple le gouvernement fédéral refuse de s'adapter aux besoins de Québec pour le renouvellement du programme SPLI (Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance). Ce sont 2,3 millions de dollars investis en services aux itinérants-es qui pourraient tomber au 1er avril 2014. La situation économique pourrait se dégrader également avec des conséquences directes sur la population démunie. Il me semble important d'inclure ces deux points dans les scénarios possibles. Un autre défi important est celui de rejoindre la clientèle, une clientèle qui par définition est sans domicile fixe.

Il faudra être bien persévérant, nous les gens du communautaire, pour instaurer une culture de la résilience à Québec qui prenne en compte également les démunis. L'analyse de catastrophes antérieures, comme l'ouragan Katrina en 2005, pourrait montrer les écueils à éviter. Pourquoi les citoyens aisés ont quitté la Nouvelle-Orléans en anticipant les consignes des autorités et que les démunis sont restés là à subir un ouragan historique? Tout simplement parce que rien n'avait été prévu pour cette population!
 

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