Indomptable Vic Vogel

David Bigonnesse, L’Itinéraire, Montréal, le 1er octobre 2013

Vétéran du jazz et du big band, Vic Vogel n'a plus besoin de présentation. Autodidacte, Vogel a travaillé avec une pléthore d'artistes dans tous les endroits où la musique fuse, passant des cabarets de Montréal aux scènes européennes. Encore, à l'âge de 78 ans, le compositeur et musicien éternellement rebelle ne mâche pas ses mots. Il garde un regard critique sur la musique d'aujourd'hui et sur la vie en général, lui qui a vécu des moments autant extraordinaires qu'obscurs.

Alors que les lecteurs pourront découvrir ces jours-ci sa biographie Vic Vogel – Histoires de jazz écrite par Marie Desjardins, L'Itinéraire s'est entretenu avec l'homme dans son antre, le bar Else's, avec sa bière, ses souvenirs et sa franchise déconcertante.

 

Monsieur Vogel, c'est quoi être rebelle à 78 ans?

Bonne question! C'est d'être le contraire de tout ce qui est autour de toi. Côté musical, côté toute, côté bubble gum, côté pop, côté marde. Je pense que c'est une manière de s'exprimer.

 

Vous avez toujours été rebelle ?

Oui, Gerry Boulet était rebelle de rock et moi, j'étais rebelle de jazz.

 

Parce qu'il y a des gens qui, en vieillissant, rentrent dans le rang …

Je suis plus doux maintenant…

 

Mais toujours rebelle …

Oh yeah, tant que j'ai ça, je peux continuer, je peux créer, sans avoir de contraintes. Je fais ce que je veux ! J'ai 78 ans et j'ai le droit.

 

Est-ce que l'on peut dire que vous êtes un itinérant de la musique?

On était des itinérants lorsque votre journal est arrivé sur la map parce que les musiciens de jazz, dans les boîtes de nuit. Ils crevaient de faim souvent. Combien de fois qu'on a couché dans notre voiture en hiver. Tu sais, moi je peux autant composer avec un hot dog dans mon ventre ou bien un steak de surlonge. J'aime les deux. J'aime mieux l'autre, mais quand il n'est pas là, c'est correct. J'vais attendre le lendemain, Ça va s'améliorer. C’est tout.

 

Vous avez vécu une période «antisociale», un deux, trois ans de «petit down», évoqué dans votre biographie. Pouvez-vous décrire cette période …

Après que j'aie composé toutes les affaires pour les Jeux olympiques de Montréal en 76, j'attendais que quelqu'un me donne un criss de grosse espèce de job. Ou bien quelque chose de bien important à faire. Un film, quelque chose … J'ai été, par jalousie, complètement ignoré. Je viens de faire la plus grosse noce juive au monde, les Olympiques! Pis personne te donne rien, Même pas de «Bravo Viktor!» Dans le monde entier, j'ai fait les premières pages pour la musique avec ABC, Wild World of Sports … À Québec, j'ai fait trois lignes à la page 14. Parce que c'est de la jalousie. Mon nom est Vogel, pas Bolduc.

 

Ça vous a blessé beaucoup?

Oui, parce que j'ai été complètement abandonné, J'étais un orphelin.

 

Comment vous avez trouvé le chemin de la rédemption après ça, pour surmonter la blessure?

L'alcool! Non …J'avais des amis quand même qui me supportaient. C'est là que j'ai rencontré Gerry Boulet qui était un criss de caractère que j'aimais beaucoup. Jusqu'à sa mort, on était ben ben tight.

 

Vous avez alors fait En fusion avec Offenbach.

L’industrie n'y croyait pas. Ils disaient, ça va être un flop !J'avais cinq trompettes, deux cors français, cinq saxophones, cinq trombones, une chorale, deux drummers … C'était écœurant! Encore aujourd'hui, je ne sais pas combien d'années plus tard, on a fait une tournée avec Martin Deschamps, on faisait le show de Offenbach avec le band. Et tu voyais des gens qui étaient jeunes à l'époque qui amènent leurs enfants pour voir le band, Ils disent, ça c'est un orchestre'!(Rires)

 

La musique, est-ce que ça a toujours été l'endroit où vous vous sentiez le mieux, comme espace de création?

Ben, c'est ma meilleure maîtresse! C'est la seule qui me tricherait jamais. Je peux coucher avec, c'est merveilleux. Elle me donne toute. Pas besoin d'avocat.

 

Votre parcours en tant qu'autodidacte a marqué votre carrière. Il semble y avoir une relation amour-haine avec la formation artistique traditionnelle, Quelle est votre relation avec l'éducation musicale?

Le problème que j'ai avec l'éducation musicale, c'est quand les étudiants viennent me voir et disent : «Comment je peux être pareil comme toi?» J'ai dit : «Criss ton prof dehors!» Parce que ce monsieur c'est un fonctionnaire, il veut son fonds de pension, pis la raison pourquoi il enseigne, c'est parce qu'il ne peut pas s'exprimer, il ne peut pas jouer. C’est ben rare que les gens qui jouent enseignent, parce qu'ils sont trop occupés.

 

Vous avez fait plusieurs collaborations tout au long de votre carrière avec de nombreux artistes. Est-ce qu'il y en a un particulièrement qui vous a marqué ou influencé?

Y en a plusieurs. C'est des grands grands musiciens, Tony Bennett. Dizzy Gillespie, Miles Davis, Michel Legrand … Tu ne peux pas dire lui est mieux que l'autre. Non, c'est des amis, ils font leurs affaires bien comme il le faut.

 

Est-ce qu'il y a un projet que vous auriez aimé réaliser ou qui n'a pas encore été créé?

On ne sait jamais qu'est-ce qui va arriver comme projet parce qu'on ne décide pas ça, Il faut que ça vienne naturel. Peu à peu. J'ai trois, quatre projets dans le moment. J'ai fait une chose avec deux de mes amis musiciens, Michel Donato à la contrebasse et Ti-Guy Nadon à la batterie, je les ai invités chez nous, avec des caméras, de l'audio, Et j'ai dit écoute, on est probablement les seuls qui sont encore actifs à l'âge de 70 ans et plus,

On est actifs. On va jouer, sans dire un mot, sans dire un titre, rien. On improvise pour une heure et demie. Un moment donné, ça fait un projet!

 

Parlons de Montréal. Quelle époque avez-vous préférée?

Dans les années 40 et 50, on avait 1100 clubs sur l'île de Montréal. Onze cent! Pis chaque club avait deux orchestres, un pour la danse et un pour les chiens savants. On travaillait sept jours par semaine, on gagnait plus d'argent qu'aujourd'hui. L’école du jazz est venue des clubs de nuit. On avait toujours des artistes d'ailleurs, surtout des Noirs, pis de New York ou ben de Chicago … Pis à l'époque, tous les artistes au contraire d'aujourd'hui, où ils rentrent et ils s'en vont au Forum, font un show et s'en vont, ils restaient ici pour une semaine de temps. Comme ça dans le jour, t'avais la chance de parler et d'avoir une conversation avec tes gens.

 

L'époque des nuits de Montréal, est-ce que c'était vraiment le meilleur temps?

Oh oui! C'était un temps glorieux. Tout le monde était content. C'était tes mafiosi et les criminels. Mais ils nous respectaient et nous payaient en cash toutes les semaines. Qu'est-ce que tu veux de plus?

 

Diriez-vous que la société actuelle étouffe la créativité?

Oui, bien sûr. Pis nous autres, on est des menaces parce qu'ils nous aiment pas. Ils aimeraient que t'on criss notre camp quelque part. On est vraiment une image, une réflexion de ce qu'eux ne sont pas: la vérité et l'honnêteté. Je comprends qu'un médecin peut faire tant d'argent, mais quand tu vois, je ne sais pas, disons un policier ou quelqu'un qui est un syndiqué mur à mur et qui a une maison à Laval avec une piscine et qui va aux Bahamas en hiver … J'ai rien contre, mais en même temps, ils vivent au-dessus de leurs moyens parce qu'ils pensent que tout va durer. Un moment donné ça fait cric et là tu es pogné! La chose la plus importante vis-à-vis un itinéraire, c'est être capable d'être flexible. De dire écoute, j'vais passer à travers de ça. Retomber sur ses deux pattes. Mais c'est quoi la vie, si c'est pas l'aventure!

 

Justement, quelle aventure vous attend?

Demain, je ne sais même pas ce que je vais faire. J'ai eu un peu de misère avec le nerf sciatique et aujourd'hui j'ai acheté une poussette (marchette, NDLR). Ça me fait chier, mais je vais le faire. À un moment donné, je vais marcher tellement que cette poussette va être dans les vidanges!

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