Gilles Gagné, GRAFFICI, Gaspésie, octobre 2013
À l’approche des élections municipales du 3 novembre, les prochaines semaines pourraient être déterminantes dans l’avenir de certaines infrastructures de transport en Gaspésie, surtout les quais commerciaux, alors que des candidats devront se prononcer sur leur volonté de s’engager dans leur sauvetage.
La situation est préoccupante à Carleton, à New Richmond, à Paspébiac, à Chandler et à Sainte-Anne-des-Monts. À l’exception de New Richmond, les autorités municipales des quatre autres villes doivent composer avec le désengagement du gouvernement fédéral, qui cherche à se départir de ces infrastructures jugées excédentaires.
La Ville de New Richmond est en processus de cession du quai privé jadis propriété de la firme Smurfit-Stone, et la mairesse Nicole Appleby veut le mettre en valeur mais elle prendra sa retraite en novembre. La question appartiendra au nouveau conseil. À court terme, la situation de Carleton semble très inquiétante. Le conseil municipal est résolu à abandonner la partie commerciale du quai, comme cela se profilait au début de 2010. Et comme en 2010, cette position représenterait une erreur.
Le transport outremer du bois de construction a cessé il y a 22 ans à Carleton mais de 2010 à 2012, quatre cargos y ont déchargé de l’acier du Danemark pour le fabricant de tours éoliennes Fabrication Delta, de New Richmond. Du sel de déglaçage y arrive depuis des décennies. L’acheminement de bois brut de l’île d’Anticosti pour la scierie Temrex de Nouvelle est suspendu parce que le contexte est défavorable dans le secteur du bois d’oeuvre mais ce trafic pourrait reprendre. Veut-on aussi se couper des navires de croisière ?
Il y a un quai commercial à Carleton depuis plus de 125 ans. Même si le trafic a diminué, l’infrastructure a sa raison d’être. Si l’acier du Danemark a été déchargé à Paspébiac en 2013, c’est que Fabrication Delta cherche des solutions de rechange dans le cas où le quai de Carleton serait fermé. Bref, si le trafic à Carleton – sel, bois brut et acier – a diminué depuis 2012, c’est uniquement en raison du manque d’entretien du quai par Transports Canada depuis 30 ans, et de la fermeture de petites sections qui complique la vie des utilisateurs. Ce n’est pas lié à son potentiel.
Le tonnage de marchandises manutentionnées constitue le principal barème d’évaluation de Transports Canada mais cette donnée est souvent trompeuse. Quand Fabrication Delta prend livraison de 5 000 tonnes d’acier, c’est pour fabriquer des tours éoliennes dont la valeur cumulative se chiffre en millions de dollars, parfois jusqu’à 15 ou 20 millions. C’est aussi pour faire travailler 125 personnes.
Ainsi, un tonnage relativement modeste génère des retombées cruciales pour la Baie-des-Chaleurs. C’est pourquoi nos meneurs municipaux et régionaux doivent refuser de sacrifier nos dernières infrastructures maritimes. Dans cet espace en 2010, GRAFFICI avait suggéré de garder au moins un quai commercial par MRC en Gaspésie, considérant le caractère maritime de la région, des distances et de l’inévitable recours aux navires dans un proche avenir, pour des motifs environnementaux. Il serait déplorable de fermer des quais parce que le gouvernement fédéral manque de vision élémentaire. Le cas de Carleton est troublant parce qu’Ottawa est prêt à investir 5 millions de dollars pour le fermer, mais pas 10 ou 12 millions de dollars pour le réparer et en transférer sa propriété. C’est la politique de la terre brûlée. Le principal espoir réside dans le soutien qu’apporte le gouvernement du Québec pour étudier la suite des choses.
Au nom de quelle notion de développement pourrions-nous justifier l’enrochement de structures que les générations antérieures ont payées, pour lesquelles elles ont lutté et qui pourraient être appelées à servir encore et davantage? Tout investisseur potentiel remarquera notre incapacité à protéger nos acquis. Nos scieries, à Nouvelle, à Saint-Elzéar, à Grande-Vallée ou à Cap-Chat, auront un jour besoin du bois d’Anticosti, par exemple. Comment réagirons-nous si l’acheminement par navire de ces volumes de bois est rendu non concurrentiel en raison du trop grand éloignement du quai le plus « proche ». Le transport par camion coûte beaucoup plus cher.
Ce danger risque de s’appliquer aux fabricants des maisons usinées soumissionnant pour des contrats dans le Nord, comme Habitations Mont-Carleton. Si une soumission est sabordée en raison du coût de transport prohibitif pour se rendre à un quai, la région perd.
Nous n’imaginerions jamais nous défaire d’une route parce qu’elle n’est pas « rentable ». La région doit voir ses quais, son emprise ferroviaire et ses aéroports de la même façon. Tout recul est désormais inacceptable.