Sylvain-Claude Filion, L’Itinéraire, Montréal, le 15 septembre 2013
On imagine aisément que l'archétype du pauvre est un personnage en haillons, barbe pas faite et main tendue vers la horde compacte des passants indifférents.
Pourtant, la pauvreté, c'est tellement plus que ça. La Banque mondiale la décrit comme suit : «La pauvreté, c'est avoir faim. La pauvreté, c'est être sans abri. La pauvreté, c'est être malade et ne pas pouvoir voir un médecin. La pauvreté, c'est ne pas pouvoir aller à l'école et ne pas savoir lire. La pauvreté, c'est ne pas avoir de travail, s'inquiéter de l'avenir et vivre au jour le jour.»
Selon l'état de situation 2012 publié par le Centre d'étude sur la pauvreté et l'exclusion (CEPE), un Montréalais sur cinq est pauvre. Ce qui veut dire que parmi vos collègues de travail, vos amis, la parenté, vous côtoyez quotidiennement probablement sans le savoir, un pauvre.
Les pauvres d'aujourd'hui se retrouvent de plus en plus dans la classe moyenne qu'on presse comme un citron, pendant qu'aux extrémités du spectre, on trouve un groupuscule qui accumule ta richesse et une autre minorité qui n'arrive même pas à se loger – on les estime à 30000 à Montréal, dont la moitié vivent carrément dans la rue.
Le dieu Équifax
On ne retient aujourd'hui que la réputation du crédit pour juger autrui. Le plus honnête des travailleurs, le plus parfait des gentlemen ne vaut plus grand-chose si son dossier de crédit est entaché.
Les propriétaires font désormais enquête avant de louer leurs logements. Le téléphone et l'Internet n'étant pas considérés comme des services essentiels, des fournisseurs comme Bell et Vidéotron mènent aussi des enquêtes de crédit avant de consentir à connecter de futurs clients. Si vous n'êtes pas étiqueté R1, on exigera des centaines de dollars en dépôt de garantie.
La malchance est devenue une tare. La cote de crédit est la nouvelle religion. Il y a vingt ans, Diane Dufresne chantait dans La fureur du cash, «Je te demande pas comment tu vas, je veux juste savoir comment tu vaux». C'est malheureusement devenu trop vrai.
La pauvreté abrutit
Pauvreté n'est pas vice, mais les soucis d'argent rendent malade. Dans une étude publiée cet été dans la revue américaine Science, des chercheurs ont démontré qu'ils ont des effets négatifs sur les fonctions cognitives. En plus de diminuer l'espérance de vie, la pauvreté et le manque d'argent deviennent une préoccupation constante, qui engendre des distractions permanentes. La pauvreté abrutit.
Le 8e rapport annuel que vient de publier le Forum économique mondial classe les inégalités économiques au premier rang des 50 facteurs de risques qui pourraient ébranler la planète au cours des dix prochaines années. Quand une ville reçoit le G8, les Jeux olympiques ou le pape, elle s'empresse de cacher ses pauvres. Un peu comme un proprio va donner une couche de peinture pour dissimuler des traces de moisissures ou comme on balaye la poussière sous le tapis parce que la visite s'en vient.
Les pauvres ne sont payants politiquement. Les démunis, avec leurs ennuis financiers. ne sont pas intéressants. Pas étonnant qu'ils soient à peu près disparus de la télé. Nous vivons dans un monde axé sur la performance. C’est chacun pour soi et au plus fort la poche. Pourtant, l'entraide, la compassion et le partage devraient venir de chacun de nous, afin que chacun reçoive sa juste part de dignité.