Une charte des valeurs québécoises: Le piège

Pierre Mouterde, Droit de parole, Québec, septembre 2013

Une charte des valeurs québécoises : à première vue, l’idée pourrait avoir quelque chose de bon. Le Québec n’est-il pas une petite nation en mal d’affirmation, une société qui, isolée dans la grande mer anglophone nord-américaine, a toutes les peines du monde à sauvegarder sa langue, préserver son identité culturelle et renforcer ses propres pouvoirs politiques ? Alors, qu’un gouvernement décide de réaffirmer fièrement ce que le peuple du Québec aspire à être, et qu’il le fasse en mettant de l’avant les valeurs de laïcité et d’égalité hommes femmes, quoi apparemment de plus nécessaire ?

Sauf qu’en ce mois de septembre 2013 alors que le Parti québécois se trouve à la tête d’un gouvernement minoritaire, il ne s’agit en rien de cela. Tout d’abord parce que ni la laïcité, ni même l’égalité homme- femme ne sont vraiment en jeu dans ce projet. Si on se fie aux fuites dont s’est fait écho le Journal de Montréal, on sait en effet qu’il s’agirait essentiellement de bannir le port de signes religieux ostentatoires (croix, burqa, hidjab, kippa, etc.) chez tous les employés de l’État (dans la fonction publique, les tribunaux, les écoles, sauf les écoles privées!, les hôpitaux, les centres de la petite enfance) et ainsi, comme le dit Pauline Marois, de rappeler « à tous ceux et celles qui choisissent de venir vivre au Québec qu’il s’agit là de principes parmi les plus précieux aux yeux des Québécois ».

 

Le crucifix toujours au parlement ?

 

Et rien d’autre ! parce qu’il ne semble pas même être question d’ôter le crucifix trônant au-dessus du siège du président de l’Assemblée nationale, et encore moins d’imaginer en finir avec les subventions que l’État québécois « laïc » continue à verser aux écoles privées confessionnelles. Il ne semble pas non plus qu’on envisage d’apporter aux immigrants fraîchement arrivés, et en particulier aux femmes immigrantes, un plus grand appui en terme de francisation ou d’accès au marché du travail; toutes choses qui permettraient une plus grande égalité entre hommes et femmes et qui appartiennent à cet ensemble de valeurs liées à la modernité que la charte serait supposée mettre de l’avant.

 

Stigmatiser les différences culturelles

 

Qu’en conclure alors ? Qu’il s’agit d’une opération publicitaire destinée à faire remonter la cote du gouvernement péquiste dans le sondage, en manipulant les frustrations et inquiétudes souterraines de tout un peuple. Non pas d’ailleurs – et c’est là sans doute le plus pathétique – pour mettre en place les ingrédients nécessaires à une accession politique à l’indépendance, mais pour au contraire, au nom d’une laïcité à géométrie variable, stigmatiser les différences culturelles en faisant naître un esprit de corps autour de la culture canadienne française et en l’opposant à celles des imigrants, afin d’exacerber – de manière totalement inutile – la division entre Québécois de souche et nouveaux arrivants.

Le piège par excellence !

 

Labeaume n’est pas en reste…

 

Pas de doute, il a le mérite d’exprimer haut et fort ce que bien des gens ressentent tout bas. Il a encore quelques croutes à manger en termes de laïcité, lui qui confond hardiment l’utilisation politique des signes religieux et la protection du patrimoine culturel : « À la fête de Québec le 3 juillet, quand je suis dans le banc d’en avant à la cathédrale, pour moi c’est l’émotion, car je continue une tradition à la Ville de Québec. Peu importe notre niveau de foi, c’est une grande fierté et c’est le patrimoine de la ville ».

C’est sans doute ce qui lui permet par la suite d’endosser en termes de rapports au religieux, des interdits à géométrie variable : d’un côté « on a un aumônier à la Ville et on va le garder ! » et de l’autre, comme « signe d’avilissement de la femme (…) un voile, c’est non ». En somme, une politique de 2 poids, 2 mesures !

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