Normand Gagnon, Autour de l’île, l’île d’Orléans, août 2013
Est-ce un hasard si le programme de cette troisième soirée de Musique de chambre à Sainte-Pétronille (MCSP) montre une véritable cohérence interne, si l’on accepte qu’il soit le récit des vicissitudes de l’amour? Nous pourrions le croire considérant le très jeune âge du violoncelliste Stéphane Tétreault. Mais après l’avoir vu jouer les Haydn, Brahms et Schubert avec brio, fougue et sensibilité, nous commençons à en douter. Si le musicien est capable de montrer tant de maturité dans son jeu, pourquoi en effet en serait-il dépourvu dans son expérience de la vie ? Et pourquoi cet épanouissement précoce ne se manifesterait-il pas dans l’élaboration de ses programmes de concert? Toujours est-il que ce programme, présenté avec l’exceptionnelle pianiste (et complice) Louise-Andrée Baril, évoque le parcours de l’amour humain au cours d’une vie.
L’Adagio, du Divertimento pour violoncelle et piano, lent et grave, fait penser aux tourments de l’attente, à l’inconfort du vide, bref, à l’absence de l’amour. Dans le vif Menuet et Trio, aux pas hésitants de la parade amoureuse et aux premiers mots échangés pleins d’électricité, les deux instruments jouent parfois ensemble la même note ou encore se répondent comme dans une conversation. Le contact établi, voilà que dans l’Allegro di molto, les nouveaux partenaires s’enhardissent aux premiers gestes de l’amour, s’engagent dans une danse échevelée et s’amusent comme des petits fous !
Dans la sonate de Brahms qui suit, ce qui n’était jusqu’ici que coquineries prend profondément racine dans les coeurs. Les amants partagent le plaisir en courant à la rencontre des fines gouttelettes de la pluie qui distillent les doux murmures del’amour. La tendresse de leurs gestes les fait s’étonner de ce qui leur arrive (Allegro vivace). Ils iront par la suite, main dans la main, sauter le ruisseau et rire de leur maladresse quand ils s’y mouilleront les pieds (Adagio affettuoso). Le septième ciel les attend de l’autre côté de la rive après le déchaînement de la passion dévorante qui les surprend… (Allegro passionato).
Avec Schubert en troisième partie, on assiste à un amour vieillissant qui n’est pas pour autant dépourvu de piment. Mais la partition se joue le plus souvent avec l’instrument de la nostalgie, celle de la pétillante jeunesse enfuie. L’Adagio ne fait-il pas d’ailleurs penser à Plaisir d’amour ne dure qu’un moment de la romance du même nom (1785).
Un violoncelle qui porte un nom !
Stéphane Tétreault joue sur un violoncelle fabriqué par Antonio Stradivarius en 1707 et, dont le nom, Comtesse de Stanlein, ex-Paganini, rappelle certaines étapes de sa longue histoire. Il avait en effet appartenu, entre 1839 et 1840, au célèbre musicien Niccolo Paganini puis au luthier Jean-Baptiste Vuillaume qui le céda à son tour à la comtesse de Stanlein. Il passa ensuite entre les mains d’un collectionneur allemand qui le vendit au violoncelliste Bernard Greenhouse qui en fit son fidèle compagnon pendant 54 ans et le fit restaurer dans les années 1990. Au décès de ce dernier, ses héritiers le confieront à une maison spécialisée dans la mise aux enchères en disant souhaiter que le prochain musicien qui en fera usage l’aime autant que B. Greenhouse. Il sera effectivement vendu plus de six millions en février 2012 à la famille Desmarais, puis confié par madame Jacqueline Desmarais au jeune violoncelliste Stéphane Tétreault. Selon plusieurs, dont le violoncelliste Greenhouse lui-même, le son de cet instrument ne déçoit jamais, quelles que soient les conditions où il est utilisé. Il aurait une palette de couleurs et de nuances illimitée et fournirait un son rond, chaud et boisé.