Production alimentaire : Un scandaleux gaspillage

Marie-Lise Rousseau, L’Itinéraire, Montréal, le 1er août 2013

Le 14 juin, la France dévoilait les mesures de son Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Au Québec, aucun ministère n'a pris ce dossier en main. Pourtant, l'alarme est déclenchée: près de la moitié de la nourriture produite dans le monde est gaspillée.

La France vise à réduire son gaspillage alimentaire de moitié d'ici 2025. Le Royaume-Uni a lancé le site lovefoodhatewaste.com qui déborde de trucs pour diminuer le gaspillage. En Allemagne, la campagne Trop bien pour la poubelle bat son plein. L'Organisation des Nations Unies lançait en début d'année la campagne mondiale Pensez. Mangez. Préservez pour réduire le gaspillage alimentaire.

Au Québec … rien. Aucune initiative gouvernementale contre le gaspillage alimentaire n'existe. Au cabinet du ministère de l'Agriculture, des Pêches et de l'Alimentation, l'attaché de presse du ministre François Gendron, Maxime Couture, indique que le gaspillage alimentaire ne relève pas d'eux.

Du côté du ministère du Développement durable, de l'Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP), la relationniste Geneviève Lebel nous informe qu'«à l'heure actuelle, il n'y a pas de programme, activité ou campagne de sensibilisation dédié à la lutte au gaspillage alimentaire.»

Pourtant, le sujet fait de plus en plus les manchettes, notamment depuis la publication d'un rapport de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) en 2011, qui révélait que plus du tiers de la nourriture produite mondialement est gaspillée.

 

Enjeu global

 

Le gaspillage alimentaire n'intéresse pas nos dirigeants? Il est plutôt méconnu et surtout, il n'est pas documenté. Contrairement à plusieurs pays européens, aucune donnée n'existe sur le gaspillage alimentaire au Québec.

Éric Ménard est auteur de l'essai Gaspillage alimentaire et insécurité alimentaire; pistes de solutions pour lutter simultanément contre deux problèmes majeurs. Il mentionne qu'on doit attaquer le problème du gaspillage alimentaire de façon globale. «Ça prend des solutions à toutes les échelles; les gestes individuels ne suffisent pas.» le MDDEFP a lancé en 2012 une étude pour évaluer la quantité de résidus alimentaires consommables perdus dans le secteur des industries, mais c'est insuffisant. «Ils veulent réduire les impacts environnementaux, mais ils n'agissent pas pour réduire le problème à la source» , déplore Éric Ménard.

 

À qui la Faute?

 

Selon le Value Chain Management Center, la moitié du gaspillage alimentaire au Canada vient des consommateurs. Serions-nous les grands responsables de ce fléau?

Ce serait plutôt la faute à la société de consommation, à en croire les différents spécialistes interviewés pour ce dossier. L'aliment serait devenu un produit de consommation banalisé. «On vit dans une société du beau bon pas cher. Dollaroma fonctionne pour une raison», affirme Pascal Thériault agroéconomiste à l'Université McGill.

Un exemple? En achetant un sac contenant 20 carottes pour 2 $, le consommateur ne se sent pas coupable de jeter les deux ou trois dernières qui auraient pourri au fond du sac, car cela représente seulement quelques sous dans son budget. Mais derrière ce petit impact économique, se cache une quantité non négligeable d'impacts environnementaux.

Serions-nous la génération gaspillage? «Nos mères faisaient des pâtés avec les restants de la veille», raconte Louise Ménard, propriétaire de cinq succursales IGA dans le Grand Montréal. Et nous? Trop souvent, on les oublie au fin fond du frigo … Contrairement à nos aïeux, nous avons le luxe de gaspiller.

 

Initiatives locales

 

À défaut d'intérêt des gouvernements à sensibiliser davantage les consommateurs au gaspillage alimentaire, des projets citoyens et communautaires voient le jour. Le site web Sauvetabouffe.org est la ressource la plus complète à ce sujet au Québec. Projet de l'organisme Les amis de la Terre, basé à Québec. Sauvetabouffe.org est presque entièrement géré par des bénévoles. En surfant sur le site, on peut s'informer sur les causes du gaspillage alimentaire tout en apprenant des trucs pratiques pour mieux conserver ses aliments.

Sauvetabouffe.org souhaite prendre de l'ampleur et devenir la référence en termes de lutte au gaspillage alimentaire dans la province. Mais cela dépend d'éventuelles subventions. «Nous voulons créer un moteur de recherche pour proposer des recettes «tousqui» en fonction des ingrédients des internautes, rendre le site plus interactif, etc», énumère Johanne Robitaille, bénévole depuis les tous débuts du projet en 2011.

Avec plus de moyens, Sauvetabouffe.org pourrait faire davantage pression sur les élus pour qu'un plan d'action global contre le gaspillage alimentaire soit adopté. D'ici là, le site gagne en popularité chez les citoyens, de plus en plus sensibilisés face à cet enjeu.

 

Le rôle de l'épicier

 

En tant qu'épicière, Louise Ménard est un modèle à suivre de lutte contre le gaspillage. Depuis plus de 30 ans, Mme Ménard organise sa gestion des stocks afin de limiter ses pertes. Ses surplus occasionnels sont donnés aux banques alimentaires. Résultat ? Ses marchés économisent 3000 $ par mois en collecte de déchets.

«Je ne devrais pas être un exemple», souligne Mme Ménard. En 2013, on est tous très sensibilisés â la gestion des stocks. Bien sûr, c'est une question d'économie, mais aussi de conscience sociale.»

Louise Ménard croit que les épiciers ont une grande part de responsabilité dans le gaspillage alimentaire des consommateurs. «Il faut cesser de vous obliger â acheter six oranges pour profiter d'un rabais, quand vous en avez seulement besoin de deux», dit-elle, ajoutant qu'on ne peut pas gérer un commerce d'alimentation comme un commerce de détail.

Selon elle, le Québec devrait s'inspirer du modèle européen de gestion des stocks. «La pensée nord-américaine est axée sur la présentation de masse. Il faut se sortir de la pensée «Think Big»

 

D'une pierre deux coups

 

En juin, une pétition était déposée à l'Assemblée nationale pour obliger les commerces d'alimentation à donner leurs surplus aux banques alimentaires. Selon Éric Ménard, auteur de l'essai Gaspillage alimentaire et insécurité alimentaire; pistes de solutions pour lutter simultanément contre deux problèmes majeurs, on pourrait faire d'une pierre deux coups. «Présentement, aucune banque alimentaire ne suffit à la demande. La nourriture gaspillée encore bonne â manger suffirait amplement à combler les besoins», affirme-t-il.

Une idée que soutiennent les 18 097 signataires de la pétition ainsi que Dany Michaud, directeur général de Moisson Montréal, la principale banque alimentaire de Montréal. En entrevue avec L'Itinéraire, il dévoile qu'un projet pilote est au stade d'observation entre Moisson Montréal et certaines chaînes, dont Walmart. Target et Loblaws, afin de récupérer un maximum des surplus des marchés. «C’est du gagnant-gagnant. On diminuerait le gaspillage tout en donnant une deuxième vie à des aliments», dit-il, ajoutant que son voeu le plus cher serait d'enrayer l'insécurité alimentaire.
 

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