Patrick Foisy : Exposition rétrospective au Zaricot

Claude Mercier, Mobiles, Saint-Hyacinthe, le 30 juillet 2013

Certains l'ont découvert cet été durant la vente trottoir, alors qu'il participait à Fresques sur tableau noir 2013, peignant sur la rue un lampadaire souple surmontant ce qui pourrait bien être des rails tordus. D'autres on pu voir ses toiles à l'Atelier Arts Toutes Directions ou dans diverses expositions au cours des années, car cet artiste maskoutain expose ses œuvres depuis plus de quinze ans (il a commencé très jeune). L'automne dernier, afin de pousser plus loin sa démarche et de parfaire encore ses techniques, il s'est inscrit en Arts Plastiques à l'Université du Québec à Montréal. L'exposition, qui se tiendra pendant les deux prochains mois au Zaricot, sur la rue des Cascades (la date de fin n'est pas certaine, mais c'est au moins deux mois), est la première vraie rétrospective de ses différentes périodes de création, du dire même de l'artiste, bien que certains pourraient prétendre que déjà, en 2003 et en 2006, il avait eu des expositions qui pourraient s'y apparenter. Une chose est sûre, ce ne sera certainement pas la dernière (mais ce n'est pas une raison pour rater celle-là!).

Comme vous le savez, le Zaricot est un bar, et non une salle d'exposition, alors les toiles n'ont pas nécessairement l'éclairage pour les bien mettre en valeur, certaines sont carrément dans l'ombre, et puis il faut les chercher un peu partout, d'un côté ou de l'autre, en avant et en arrière, entre deux décorations, ce qui empêche de créer un effet d'ensemble. Mais, même à la pièce, même mal éclairée, l'exposition vaut le détour. Par chance, j'ai eu la bonne idée de passer à un moment de la journée où les seuls clients étaient sur la terrasse, ce qui m'a permis de visiter à mon aise. Je devais avoir l'air un peu bizarre à me promener de table en table avec mon verre dans une main, ma bouteille dans l'autre, mon cellulaire pour prendre des photos, mes papier et mon stylo pour noter des trucs, mais comme il n'y avait que le barman à l'intérieur, et qu'il était occupé, mon honneur est sauf.

Avant tout, ce qui frappe dans les œuvres de Patrick Foisy, quelle que soit la période, c'est l'émotion. La toile n'est jamais froide. Quelque chose passe entre elle et celui (ou celle) qui la regarde. On a l'impression que, si jamais il lui prenait la fantaisie d'essayer de faire une toile froide, il n'y réussirait pas tellement l'émotion semble faire partie de son art. Prenez, par exemple, les deux scènes de rue : des voitures et des édifices de la rue des Cascades la nuit pour l'une, des voitures passant sous viaduc pour l'autre, le tout rendu de façon réaliste. Ce qu'on remarque, ce qui nous saute au visage: la mélancolie. On pourrait refaire l'exercice avec chacune des toiles, on arriverait toujours à une émotion.

Mais ce serait injuste de limiter ses toiles à l'émotion. Techniquement, c'est maîtrisé. Si l'artiste veut qu'un élément soit précis, réaliste, il l'est. Même dans son irréalité. Même si tout autour ne l'est pas. Et puis il y a l'utilisation de la couleur, des volumes, des dégradés, des contrastes. Chacune de ses périodes a ses particularités, certaines ne sont représentées que par une ou deux toiles, d'autres par beaucoup plus.

J'aimerais faire remarquer quelques éléments qui se retrouvent dans plusieurs périodes, des points communs entre-elles, qui permettent de tracer une sorte de portrait artistique du peintre. Le premier, c'est la présence de la technologie. On a mentionné les voitures des scènes de rue, mais il y a aussi des fils, des boîtes avec boutons rouges, une télévision, des cubes qui font penser au monolithe noir de 2001, l'odyssée de l'espace dans les toiles surréalistes, et des circuits électroniques dans la série des mécanismes mentaux.

Ce qui nous emmène à parler de l'impression de science-fiction, une science-fiction poétique. Dans la série surréaliste, où on retrouve parfois des paysages qui ont l'air extraterrestres, un cratère avec un monolithe dans un endroit désertique, mais en y réfléchissant bien, ces paysages pourraient aussi être terriens, des déserts le jour ou la nuit, avec une luminosité particulière. On retrouve la même impression de science-fiction dans la série des mécanismes mentaux, celle dans des tons d'ocre, jaune et rouge; dans le triptyque tout au fond de la salle, au premier abord, on croit percevoir une ville extraterrestre. Ailleurs, un pont de métal en construction au-dessus du néant, un vaisseau spatial, une grotte bordée d'édifices. Notre cerveau a tendance à rapprocher du connu ce qu'il voit, même si le connu est tiré de films de science-fiction. En y regardant de plus près, et en prenant connaissance du titre de la série, on s'aperçoit que les toiles pourraient bien représenter, de façon imagée et imaginaire, ce qu'il y a dans la tête de quelqu'un. La grotte pourrait être une artère ou une cavité du cerveau, la ville border l'une d'elles, les circuits électroniques être ceux qui mènent à la pensée.

Un autre point commun des toiles composant l'exposition, c'est qu'il n'y a pas foule dans celles-ci. Souvent aucun personnage, parfois un, une fois deux silhouettes dans des plans différents, à une seule reprise il y en a trois, mais de dos, avec cape et capuchon, dans la toile intitulée Le conseil. Au total, trois seulement ont des visages. L'un, dans la série surréaliste, pourrait bien être un auto-portrait ; on voit le personnage assis devant la télévision, au milieu du désert, avec le soleil qui se couche au-dessus des montagnes. Le second n'est qu'un visage, partiel car une partie est dans l'ombre, qui crie de terreur ou de colère. Le troisième, dans une toile située tout juste après le bar, n'est qu'évoqué, deux yeux et une bouche, pas réaliste du tout, en blanc sur fond noir, alors que le corps, lui, très réaliste, porte un complet-veston. Il y a aussi deux nus, l'un debout et l'autre agenouillé,  mais n'ayez crainte, on ne voit rien qui puisse offenser vos chastes yeux. Homme qui fait de l'embonpoint ou femme enceinte, difficile à dire, les deux personnages sont asexués, on ne voit ni organe ni seins très développés. Ils m'ont fait penser aux statuettes de Vénus préhistoriques, avec de grosses fesses, de grosses cuisses, un gros ventre. Dans les toiles, ils sont suspendus dans le néant, il n'y a pas de plancher ni de mur ni de détail autres que le corps, avec un fond neutre. Dans la toile où l'on voit deux personnages, tout juste après le bar elle aussi (en-dessous de l'autre), les personnages sont des silhouettes blanches, l'une de face, qui peut rappeler Le Cri, d'Edvard Munch, l'autre de profil, mais cette dernière est beaucoup plus petite, comme si on la voyait à travers la fenêtre, au loin, comme si elle fuyait celle qui crie. Ces personnages solitaires, ou leur absence, viennent renforcer l'impression de mélancolie et de solitude qui se dégage d'une bonne partie de l'exposition.

En prenant un peu de recul, on découvre qu'il y a de l'ambiguïté dans les toiles de Patrick Foisy, tant dans les nus que dans les mécanismes mentaux et les toiles surréalistes, même dans la toile presque abstraite qu'on voit à l'entrée et dont je parlerai plus loin, ambiguïté entre ce qu'on croit qui est représenté au premier abord, signifié, et ce qu'on découvre par la suite, en s'y attardant. C'est peut-être une des caractéristiques de son œuvre. Des toiles à retardement, qui nous trompent tout d'abord, qui nous donnent l'impression d'une chose, puis d'une autre, et d'encore une autre, qui nous laissent dans le doute, comme entre deux eaux, entre deux interprétations, et c'est peut-être une de leurs grandes forces.
 

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