T.-D. Bouchard : le diable de Saint-Hyacinthe

Roger Lafrance, Mobiles, Saint-Hyacinthe, le 25 juillet 2013

On connaît bien mal notre histoire. C’est la réflexion que je me suis faite en refermant le livre Le diable de Saint-Hyacinthe de Frank M. Guttman, première biographie portant sur Télesphore-Damien Bouchard. Les éditions Hurtubise viennent d’en publier la version française.

Pour les Maskoutains, T.-D. Bouchard est surtout une rue, celle de la Polyvalente Hyacinthe-Delorme. On a aussi un pont en son nom, de même qu’un parc qui n’est pas si évident à trouver. On devine que cet ancien maire a dû jouer un rôle important dans le développement de notre ville, mais sans plus.

Ce qu’on ne sait pas, c’est le rôle que T.-D. Bouchard a exercé au début du 20e siècle, non seulement à Saint-Hyacinthe mais aussi sur la scène québécoise. Ce fut pour moi une très grande découverte et la biographie de Frank M. Guttman, particulièrement fouillée et bien écrite, permet d’en saisir toute la portée.

«Si j’ai écrit cet ouvrage dédié à la vie et à l’époque de Télesphore-Damien Bouchard, c’est surtout parce qu’il a été ignoré par les historiens québécois, écrit l’auteur dans son introduction. En effet, aucune biographie lui ayant été consacrée n’a été publiée à ce jour. Pourtant, T.-D. Bouchard fut, de 1912 à 1944, l’une des personnalités les plus marquantes de la vie politique québécoise, sur laquelle il exerça une influence majeure en tant que précurseur de la Révolution tranquille.»

Télesphore-Damien Bouchard est né dans la basse-ville, à l’ombre du marché à foin, dans des conditions modestes, rappellera-t-il tout au long de sa vie. Il sera aussi fidèle aux valeurs libérales dans lesquelles il a grandi, croyant aux vertus de l’éducation, à la liberté de parole et à l’importance de séparer la religion et l’État.

Sa carrière fut à tout le moins impressionnante. Il fut maire de Saint-Hyacinthe presque sans interruption de 1917 à 1944. Durant la même période, il cumula le poste de député provincial tout en dirigeant et en écrivant dans le journal L’Union (qui deviendra plus tard Le Clairon). Il sera même promoteur immobilier et possédera une concession automobile. Rien de moins!

Ajoutons à sa feuille de route qu’il sera aussi le premier président d’Hydro-Québec (pour un court passage toutefois) ainsi que sénateur canadien.

Le Diable de Saint-Hyacinthe nous est dépeint comme un homme attaché à ses principes, un tribun vigoureux qui ne faisait pas de quartier. Déjà, au début de ses activités publiques, ses chevaux de bataille seront l’éducation obligatoire et gratuite pour tous, la municipalisation de l’électricité à Saint-Hyacinthe et la lutte à la corruption. Ces objectifs le guideront tout au long de sa carrière politique.

Anticlérical avoué, il ne se fera guère d’amis du côté des religieux dont l’influence se fait sentir dans toutes les sphères de la société, même lors des élections. Son radicalisme fera en sorte qu’il sera toujours vu comme étant un élément dangereux, même au sein de son propre parti, ce qui le confinera longtemps parmi les arrière-bans à l’Assemblée nationale. Il ne deviendra ministre qu’à la fin de sa carrière mais jouera un rôle prépondérant au sein du gouvernement d’Adélard Godbout, prônant des mesures aussi importantes que le vote des femmes, la création d’Hydro-Québec et des lois sur les droits des travailleurs.

De fait, Bouchard fut un homme politique bien en avant de son temps, précurseur des Jean Lesage et René Lévesque qui allaient installer le Québec dans la modernité. Tout au long de sa vie, il fut un homme intègre, privilégiant les appels d’offre publics alors que les pots-de-vin étaient monnaie courante entre les entrepreneurs et les politiciens de l’époque (tiens, ça nous rappelle quelque chose!).

À Saint-Hyacinthe, on lui doit la piscine Laurier, les terrains de l’Exposition agricole, la construction de l’Hôtel de ville, plusieurs ponts et parcs ainsi qu’un contrôle strict des finances municipales.

Dans sa biographie sur Duplessis, Conrad Black affirme «qu’il fut l’un des plus remarquables maires du Québec du XXe siècle, celui qui fit de Saint-Hyacinthe une belle ville, et l’un des plus grands leaders politiques anticléricaux depuis Louis-Joseph Papineau», rappelle l’auteur.
 

classé sous : Non classé