Les bibliothèques, vraiment accessibles à tous ?

Sandrine Vachon, Le Mouton NOIR, Rimouski, juillet 2013

Le manifeste de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture) sur la bibliothèque publique affirme que toute bibliothèque doit être une « porte locale d’accès à la connaissance » favorisant l’apprentissage, « la prise de décision en toute indépendance et [le] développement culturel des individus et des groupes sociaux ». Ce lieu public, que l’on espère ouvert et accessible à tous, ne l’est pas encore complètement : au Québec, 28 bibliothèques publiques autonomes exigent des frais d’abonnement. L’UNESCO est pourtant claire sur la question : la bibliothèque publique doit être gratuite. Les frais d’abonnement, qui peuvent sembler bien minces pour une partie de la population, sont pourtant un frein majeur à la fréquentation de ce lieu de savoir. Selon des données publiques, le pourcentage moyen de citoyens inscrits dans les bibliothèques tarifiées est de 23 %, alors qu’il grimpe à 39 % lorsqu’elles sont gratuites. Certaines municipalités ont des taux de fréquentation exemplaires allant de 50 % à Blainville jusqu’à 83,56 % à L’Île-Perrot.

Ces taux de fréquentation très variés illustrent une étonnante disparité dans l’accès aux services de bibliothèque. Une municipalité de moins de 5 000 habitants peut, grâce aux services du Réseau Biblio, faire profiter ses citoyens d’une bibliothèque gratuite. La mission du Réseau Biblio est de favoriser l’établissement, le maintien et le développement des bibliothèques publiques partout sur le territoire. Paradoxalement, si la ville d’à côté est assez populeuse pour avoir une bibliothèque publique autonome, il se peut que ses citoyens soient obligés de débourser pour emprunter des livres. Dans le cas des villes fusionnées, la disparité peut exister au sein d’une même municipalité : ainsi, à Rimouski, les citoyens de Pointe-au-Père, du Bic et de Sainte-Blandine, anciennement des municipalités autonomes, peuvent encore accéder à leur bibliothèque de quartier gratuitement, alors que ceux désirant devenir membres de la bibliothèque Lisette-Morin doivent payer.

En plus des tarifs d’abonnement, quelques bibliothèques imposent des frais pour profiter de certains services. Plusieurs bibliothèques exigent un montant déterminé pour la location de best-sellers, alors que d’autres le font uniquement pour l’emprunt de films. Des bibliothèques demandent aux parents de payer pour que leurs enfants assistent à l’heure du conte, tandis que d’autres tarifient l’utilisation des ordinateurs. Ces frais ne sont pas sans conséquences : ils peuvent empêcher les moins fortunés de bénéficier de tous les services dont ils ont besoin. Nous pouvons penser, notamment, aux 20 % de citoyens québécois ne possédant pas d’ordinateur à la maison. Ce sont eux qui devraient pouvoir utiliser un poste informatique à la bibliothèque pour répondre à leurs besoins d’information ; malheureusement, ils n’ont pas nécessairement les moyens de le faire.

Lorsqu’une ville décide d’accorder la gratuité, elle pose un geste d’inclusion envers tous ses citoyens : elle admet que chacun d’entre eux, sans discrimination, doit pouvoir accéder à la culture et à l’information. Elle affirme que tous ses enfants, même ceux provenant de milieux défavorisés, doivent avoir la possibilité de fréquenter un lieu où ils découvriront le plaisir de la lecture en dehors du cadre scolaire. La gratuité est un choix politique dont le coût est peu élevé : en 2011, les 28 bibliothèques publiques autonomes tarifées ont retiré, en moyenne, 17 000 $ des frais d’abonnement de leurs résidents. La gratuité des bibliothèques est un changement qui fait peu de différence dans les finances publiques d’une municipalité. Pourtant, elle a un impact significatif dans la vie de ses habitants. Le plus grand obstacle entre le citoyen et l’information ne devrait jamais être le prix d’une carte de bibliothèque.

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