Étrangers d’origine, Québécois de cœur

Émilie Bonnefous, La Quête, Québec, juin 2013

« Le Québécois d’aujourd’hui ne ressemble plus à celui d’hier, l’interculturalisme est, désormais, une des valeurs fondamentales du Québec ».

C’est le point de vue du sociologue Gérard Bouchard, coprésident de la Commission Bouchard-Taylor sur la question des accommodements raisonnables, dont le rapport a été remis en juin 2008. Selon lui, la majorité québécoise doit réviser un certain nombre de ses codes culturels, de façon à ce que les nouveaux venus se sentent tout aussi Québécois et bénéficient des mêmes droits. Ces changements représentent cependant pour certains une menace à l’identité collective. Pourtant, M. Bouchard assure qu’ils sont indispensables pour le respect des droits des minorités et explique que pour donner suite à une demande d’accommodement « elle ne doit justement pas porter atteinte aux valeurs fondamentales ». Cette crainte pourrait s’expliquer par le fait que la majorité francophone québécoise est elle aussi une minorité à l’échelle du continent et peut éprouver une insécurité face aux importants changements culturels qui la touche, notamment avec la mondialisation qui pose une menace à la langue française.

Des valeurs communes Selon M. Bouchard, la langue, la laïcité et l’égalité homme-femme sont fondamentales. C’est ce qu’a pu constater Sylvain Mouraret, un jeune pâtissier français qui souhaite s’installer définitivement au Québec. « Avant d’être Canadiens, ils sont Québécois. J’ai rapidement ressenti que le français était une énorme valeur, indispensable », raconte-t-il. Naëlla Zafar, d’origine indienne et pakistanaise, est arrivée en 2004 du Burundi. « Je ne me verrais pas revivre là-bas! Je me sens mieux dans une société qui respecte plus la femme, c’est ce qui m’a le plus marquée ici », expose-t-elle. Ce qui a particulièrement marqué Sylvain, c’est le respect. « C’est une  mentalité qui me plaît, une façon de parler aux gens assez sympa, de saluer dans les magasins. Il y a moins d’agressivité, d’énervement. Ma blonde n’avait pas peur de rentrer à 4 h du matin, seule dans les rues », constate-t-il.

M. Bouchard ajoute qu’en plus des valeurs inscrites dans les Chartes qui font l’objet d’un consensus, il y en a une multitude d’autres, non écrites. « La non-violence est une valeur fondamentale. L’identité se concentre surtout sur la langue française maintenant. Une nation minoritaire se doit donc de cultiver un minimum de solidarité, d’unité, d’intégration. Ça aussi c’est fondamental», expose-t-il.

 

Savoir échanger

Quitter son pays lorsqu’on ne connaît presque rien de celui dans lequel on va vivre, suscite de l’insécurité. Pour améliorer l’aspect de l’intégration, M. Bouchard croit que les immigrants devraient pouvoir participer davantage aux débats communs « qui sont assez vifs, mais qui restent très démocratiques». L’insertion dans l’emploi reste, selon lui, un point sombre. « On soupçonne des problèmes pratiques, mais on soupçonne aussi des formes de discrimination discrète qui font obstacle à cette insertion. Là, on a beaucoup de travail à faire », assure-t-il. Sylvain Mouraret n’a que de bons souvenirs de son intégration au travail. « Au début, avec mes collègues on avait des petites anicroches au niveau de la langue, chacun a pris sur soi pour comprendre l’autre et ça n’a pas mis longtemps. On parle la même langue, mais les mêmes mots ne veulent pas toujours dire la même chose! On a surtout eu une couple de semaines de fous rires » se souvient-il. Il n’a qu’un seul mauvais souvenir à raconter. « Parfois, il y a de la méfiance, une seule fois quelqu’un m’a dit “ je vais te mettre une volée, t’es Français ”, ça reste isolé ». Il assure qu’en discutant, les méfiances s’effacent. Naëlla Zafar partage cet avis.

« Quand j’étais à l’école, des fois pour te mettre en travail d’équipe, tu peux sentir que tu déranges parce qu’au départ les gens ne te connaissent pas. Quand on commence à parler, ça va bien, mais ce n’est pas très commun comme problème », raconte-t-elle.

Selon Sylvain, le meilleur moyen de s’intégrer, c’est l’échange. « Il ne faut pas comparer. Il faut interroger les gens sur leurs histoires, leurs origines, écouter et prendre son temps. Il y a plein de choses à apprendre sur le Québec ». Sylvain et Naëlla se sentent parfaitement intégrés, en témoignent leurs accents teintés de québécois. Pourtant, Sylvain devra attendre en France avant de pouvoir s’installer définitivement ici, faute de paperasse parfois trop compliquée à remplir pour lui, comme pour des employeurs éventuels. Bien que Naëlla aime sa nouvelle vie, elle se sentira toujours un peu étrangère, peu importe l’endroit où elle vivra. « On attend de l’immigrant qu’il s’intègre à la société québécoise en adhérant aux valeurs fondamentales, en participant à la vie citoyenne, mais on accepte qu’il maintienne un lien avec sa culture d’origine. Il y a un équilibre à établir, il reste du travail, mais je pense que le Québec s’est pas mal débrouillé dans ce sens », conclut M.Bouchard.
 

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