François Pagé, La Quête. Québec
En plus de fragiliser la situation des plus démunis, la réforme de l’aide sociale proposée par la ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Agnès Maltais, encourage les préjugés à l’égard des moins nantis.
La prestation de base de l’aide sociale est de 7 248 $ par année, soit à peine plus du tiers du seuil de faible revenu établi par Statistique Canada. Pourtant, le cliché voulant que les assistés sociaux se la coulent douce grâce aux largesses de l’État est répandu. En rendant conditionnelle la bonification des prestations, Mme Maltais envoie le message qu’il suffit de se prendre en main pour s’en sortir. Comme si la nonchalance était à la base du problème.
Les préjugés sont plus spontanés que la solidarité quand il est question de pauvreté. C’est d’autant plus évident dans le cas des itinérants. On comprend parfois mal que des gens puissent passer au travers des mailles du filet social autrement que par choix.
On estime à 30 000 le nombre de personnes sans domicile fixe au Québec. Va-t-on nous faire croire que tous ces gens ont été séduits par l’oisiveté paradisiaque des bancs de parc par une nuit de février, par l’aventure bohème de se lever chaque jour en se demandant si on aura un toit pour dormir et de quoi se nourrir, ou par l’argent facile de la mendicité qui attire trop souvent plus de mépris que de générosité ? Des organismes montréalais comme l’Auberge Madeleine ou l’Auberge du Coeur comptent aujourd’hui environ 20 % de bénéficiaires nés à l’extérieur du Québec. Ces gens auraient-ils émigré dans l’espoir de devenir itinérants ici ?
On ne choisit pas de vivre dans la rue. Ce n’est que l’endroit où l’on aboutit lorsque toutes les ressources ont été épuisées. Dans les mots du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), l’itinérance est « à la croisée d’une histoire de vie singulière et d’un contexte socio-économico-politique particulier ».
Certains évènements peuvent chambouler l’existence d’un individu. Par exemple, dans une étude publiée en 2000, 92 % des jeunes sans-abris interrogés faisaient un lien direct entre leur situation et des problèmes issus de leur famille d’origine.
Dans une autre étude, des chercheurs de Toronto ont conclu que les enfants subissant de la négligence et de la violence physique ou sexuelle auraient 26 fois plus de chances de vivre de l’itinérance à l’âge adulte. La précarité causée par une perte d’emploi ou une rupture amoureuse peut aussi être un facteur important. Ces situations ne sont faciles pour personne et peuvent être cruciales pour des gens plus fragiles économiquement. Ainsi, le taux de pauvreté est trois fois plus élevé chez les femmes divorcées. Il y a aussi des explications à trouver du côté de la désinstitutionalisation des gens atteints de troubles mentaux. En 2009, l’Association canadienne pour la santé mentale estimait que le tiers des itinérants étaient atteints de troubles majeurs comme la schizophrénie ou la dépression sévère. Et il s’agit là d’un chiffre beaucoup plus conservateur que ceux généralement avancés par les organismes communautaires et les chercheurs du milieu.
Les problèmes de dépendance(s) font également des ravages et toucheraient 68 % des personnes sans domicile fixe. Question de nuancer le stéréotype du clochard ivrogne, il est toutefois important de préciser que cette statistique ne précise pas si la dépendance est un facteur principal, ni même si elle est venue avant ou après la situation d’itinérance.
De mauvaises habitudes peuvent être prises dans la rue. Doit-on se surprendre de voir des sans-abris désirer anesthésier leur quotidien ? Et puis, il y a les facteurs sociaux, comme la nature de plus en plus exigeante du marché du travail qui réclame toujours plus de diplômes, alors que le taux de décochage est de 17,5 % au Québec, ou encore la conjecture économique, etc. Réduire l’itinérance à un choix, c’est simplifier à l’extrême et décharger la société de ses responsabilités sur le dos des plus démunis. Pour contrer ce phénomène, il faut cesser de le voir comme un problème et comprendre que c’est d’abord une conséquence.
Les pistes de solutions sont multiples, mais comme le veut la formule : si l’itinérance n’est pas qu’un problème de logement, c’est d’abord un problème de logement. Il faut donc commencer par construire davantage d’habitations abordables.
Alors que la prestation de base de l’aide sociale est de 604 $ par mois, le loyer moyen se situe à 666 $ et dépasse les 700 $ dans des villes comme Montréal ou Québec selon la Société d’Habitation du Québec (SHQ). C’est sans compter que 79 % des nouvelles constructions en 2010 étaient des propriétés individuelles ou des condominiums. N’en déplaise aux promoteurs, mais les itinérants ne sont pas très portés sur l’immobilier. La solution doit venir de l’État.