Pensions alimentaires. Le cercle vicieux continue

Audrey Neveu, l'Itinéraire, Montréal

Malgré la promesse de corriger le tir faite par le Parti Québécois, le problème du détournement des pensions alimentaires continue de toucher de nombreuses familles monoparentales au Québec, qui sont privées d’un revenu légitime.

Cette situation leur cause un véritable casse-tête.

Depuis 1997, les pensions alimentaires ne sont pas calculées comme un revenu pour les parents travailleurs, grâce au combat juridique d’une mère qui a amené le gouvernement en cour à ce sujet. Même si la cause a été perdue, cette histoire a soulevé un tollé et le gouvernement a changé son fusil d’épaule, mais seulement à moitié. Les pensions alimentaires continuent d’être considérées comme un revenu selon certaines lois à caractère social, notamment concernant l’aide sociale et les prêts et bourses universitaires. «C’est aberrant, car cette situation appauvrit les enfants les plus pauvres», dénonce la militante au Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ), Sylvia Bissonnette.

Pour un parent à charge bénéficiaire de l’aide sociale, le calcul des pensions alimentaires dans son revenu donne la fausse impression qu’il est trop bien nanti pour bénéficier de l’aide sociale. Conséquemment, une partie de l’argent de ladite pension alimentaire est déduite par le gouvernement. Ainsi, si le parent payeur donne 250 $ par enfant, le parent gardien ne reçoit que 100 $ de cette somme. La différence de 150 $ va dans les poches de l’État. Une famille de travailleurs recevrait, quant à elle, la totalité du 250 $, car elle ne serait pas calculée comme un revenu pour le parent gardien. Aux yeux du FCPASQ, ce détournement est un impôt déguisé, une double taxation qui ne fait que grossir les coffres du gouvernement.

Gabrielle de Lorimier est aux prises avec ce problème depuis près d’une dizaine d’années. Mère de deux enfants de père différent, elle a constaté en 2004 qu’elle n’avait plus accès aux prêts et bourses en faisant un retour aux études. «Je n’ai pas eu droit aux bourses parce que j’étais “trop bien nantie”, explique-t-elle. On ajoutait dans le calcul de mes revenus personnels ce que je recevais des pères de mes enfants, alors que les pensions alimentaires sont censées ne bénéficier qu’aux enfants.» Dans les circonstances, elle n’a pas pu poursuivre ses études.

Cette situation a également affecté Gabrielle en 2011, quand elle a eu besoin d’aide juridique. Celle-ci lui a été refusée car son revenu dépassait d’environ 1000 $ le barème qui lui aurait permis d’avoir accès aux conseils d’un avocat. La même année, elle s’est rendu compte qu’elle n’avait plus droit à l’aide sociale. «Ils m’ont dit que je recevais trop de pensions alimentaires, donc que je devais vivre avec les pensions de mes enfants», continue-t-elle.

Obligée de vivre momentanément sur les quelques 700 $ des pensions alimentaires qu’elle recevait par mois, Gabrielle et ses enfants se retrouvaient donc encore plus dans le besoin que si elle avait pu bénéficier de l’aide sociale. Le montant alloué par l’aide sociale à une famille monoparentale avec deux enfants âgés de six ans et plus, sans contrainte à l’emploi, est d’environ 21 153 $ par année, soit 1700 $ par mois, selon le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale1.

 

Une injustice complexe

«Les pensions alimentaires au Québec ont pour objectif que l’enfant maintienne les mêmes conditions de vie que lorsque les deux parents étaient ensemble, précise la militante au Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ), Sylvia Bissonnette. On oublie souvent ce fait.» Dans le cas de Gabrielle, la différence de revenu est énorme.

La régularité du paiement de la pension alimentaire par le parent payeur peut poser problème. Même si la situation n’est que temporaire, le parent qui garde les enfants ne peut se tourner vers l’aide sociale, car elle lui est refusée. Par ailleurs, le gouvernement n’autorise pas les ex-conjoints à s’entendre à l’amiable. Il impose que ceux-ci passent par son système de pensions alimentaires, afin de s’assurer que le paiement se fasse et que le parent gardien reçoive tout l’argent possible.

Sylvia Bissonnette dénonce cette situation et encourage les parents payeurs à manifester leur désaccord envers le gouvernement. «On cherche des parents payeurs qui disent “c’est assez que vous veniez chercher l’argent dans nos poches”», explique-t-elle. Le FCPASQ cherche le témoignage d’un parent payeur qui serait prêt à poursuivre le gouvernement. «Cela aurait un impact plus fort pour faire changer la situation», continue-t-elle.

Le FCPASQ est d’ailleurs présentement devant les tribunaux en Cour supérieure en soutien à une femme assistée sociale qui poursuit le gouvernement à ce sujet. C’est la première fois que le dossier se rend aussi loin. Pour l’instant, les parents gardiens ne peuvent pas faire grandchose, car la loi demeure telle quelle. «Si on se fie à la Charte des droits et libertés de la personne, c’est une discrimination basée sur la classe sociale, explique Sylvia Bissonnette. Le gouvernement se défend en disant que toutes les personnes assistées sociales vivent la même chose. Il faudrait peut-être regarder les autres bassins de population. Les travailleurs n’ont pas cette coupure.»

Le 28 novembre dernier, la porte-parole de Québec solidaire, Françoise David, a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi 195 visant à exclure les pensions alimentaires pour enfants du calcul des revenus dans plusieurs lois à caractère social. Par le passé, le Parti Québécois a déposé deux projets de loi identiques. Maintenant au pouvoir et malgré un engagement électoral clair à cet égard, le PQ refuse de se donner un échéancier pour régler le problème. Le FCPASQ ne cache pas son pessimisme face à cette promesse.

«J’ai été capable de garder la tête au-dessus de l’eau, mais j’en ai payé de ma santé, admet Gabrielle. Je me suis épuisée.» Malgré tous les hauts et les bas générés par cette situation délicate et incessamment changeante, Gabrielle garde espoir. «Je veux témoigner et lutter pour aider mes compatriotes, car c’est souvent des femmes qui sont chefs de familles monoparentales et qui se retrouvent dans des situations très difficiles.»

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