Alain Ulysse Tremblay. La plume aiguisée de l’homme aux mille chapeaux

Soraya Elbekkali, L'Itinéraire, Montréal

Il a été travailleur de rue, musicien, peintre, journaliste, marin, bûcheron, graphiste et chargé de cours. Aujourd’hui, il est auteur. Auteur prolifique, puisqu’il sortait le mois dernier son trentième roman, La vieille à Pitou.

Son créneau d’écriture? Difficile à cerner, puisqu’il navigue aussi aisément entre le roman jeunesse, la fiction d’anticipation, le portrait familial que le genre hyperréaliste. Seule constante, sa capacité remarquable à s’effacer derrière ses personnages.

«Je ne deviens pas le personnage, mais j’écris de manière singulière pour chacun d’entre eux», explique-t-il en admettant que cela peut être déstabilisant pour le lecteur. Mo, la jeune prostituée qui fait le trottoir sur Sainte-Catherine dans La valse des bâtards et Gabrielle Rivard, née en 1898 dans la région de Charlevoix et protagoniste de Les fruits sauvages du huitième jour ont chacune leur vécu et leur langage, mais le style efficace et réfléchi de l’auteur, et son attention portée aux détails de l’histoire, font qu’à chaque fois on y croit.

Pendant toutes ces années, dans la tête d’Alain, mijotaient les prémisses d’un grand roman, celui peut être qui le ferait connaître d’un public plus large. Après 25 ans de cogitation, La vieille à Pitou est bouclé. On y suit une vieille femme dans son dernier jour de vie, ressassant ses souvenirs, accompagnée de son fidèle pitou. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas un roman triste. C’est même le plus drôle qu’il ait écrit, selon l’auteur. «On rit jaune, mais au moins deux fois par page!», rassuret-il dans un grand éclat de rire. Michel Vézina, éditeur, dit d’Alain qu’il est l’écrivain le plus sous-estimé de la belle province. «Sa production littéraire est de très haut niveau et son roman La vieille à Pitou est un roman magistral», réitère-t-il avec conviction. Dans plusieurs de ses romans, il met en scène des écorchés de la vie. Toxicomanes, prostituées, suicidaires, voleurs. Leur destin, parfois sordide, est exposé sans fioriture ni détour. S’il détaille avec autant de réalisme ces existences de misère, c’est qu’il a souvent côtoyé ceux qui les vivent. Tout d’abord comme travailleur de rue au début des années 1990 dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. De ces années, il tire un roman, La langue de Stanley dans le vinaigre, une véritable photographie du quartier de l’époque.

À la fin des années 1990, dans un contexte totalement différent, il côtoie de nouveau la pauvreté. Alors chargé de cours à l’UQÀM, il est invité par Serge Lareault, directeur général de L’Itinéraire, à venir donner des ateliers d’écriture journalistique aux camelots. Ces rencontres seront marquantes pour Alain Ulysse. Bien plus tard, il écrira à ce propos : «J’ai surtout compris que c’est l’abandon qui pave l’insoutenable. On te lâche la main et te voici fin seul. Tu peux crier, hurler, pleurer, mordre ou geindre, sans main tendue tu es perdu». Un constat aussi dur que lucide.

Ces témoignages lui inspirent La valse des bâtards. Il dit avoir voulu donner une voix à des personnages peu souvent mis de l’avant dans la littérature. «Il y a déjà assez d’auteurs qui nous racontent des histoires à n’en plus finir sur des personnages plus grands que nature. Ce qui m’intéresse plutôt c’est le personnage dans tous ses aspects, dans toutes ses contradictions face à ses idées et au monde qui lui est présenté», explique l’auteur.

classé sous : Non classé