Jean-Claude Vézina, Le Haut-saint-François, Cookshire-Eaton
Amorcé l'automne dernier, le projet des conservateurs d'automatiser certains postes frontaliers sème l'inquiétude au sein de la population canadienne. Ces douanes visées, comme celle de Chartierville, sont situées en milieux éloignés et elles sont caractérisées par leur petite taille. « Une caméra à la frontière et un fonctionnaire à des kilomètres de là pourront-ils contraindre les malfaiteurs à cesser leur trafic », se questionne Jean Rousseau, député du NPD pour le comté Compton-Stanstead. À Stanstead seulement, 300 passagers illégaux ont tenté de se faufiler à travers les mailles des systèmes de surveillance.
« On dirait que le premier ministre du Canada, Stephen Harper, qui se dit chef du parti de la loi et de l'ordre, veut donner de plus en plus de responsabilités aux États-Unis en ce qui concerne la gestion des frontières », déclare Jean Rousseau. Le député va même plus loin. Il s'inquiète du fait que la gestion des douanes pourrait être confiée aux Américains. Le Custom and Border Protection (CBP) « vient d'investir plus de 9 M$ au poste de Chartierville. On y a installé des équipements sophistiqués comme des rayons X, des infrarouges qui permettent de voir littéralement à travers les cargaisons. On a construit des aménagements quasi infranchissables sans autorisation. Croyez-vous que ce soit seulement pour 20 véhicules par jour ? » avance-t-il comme questionnement.
En cela, la Chambre de commerce du Canada se montre plus modérée, mais suggère, dans sa « Vision de la frontière canado-américaine », une démarche de coopération entre les deux pays. « Le projet envisagé porte sur la mise à l'essai rapide de la faisabilité d'une frontière cogérée, coopérative dans le cadre d'un projet « feu vert ». Ce projet serait géré par une commission ou une agence mixte composée de représentants d'organismes frontaliers et d'infrastructures du Canada et des États-Unis ».
Pourtant, la circulation des gens et des biens se comptabilise en données imposantes. Longue de 5 525 km, la ligne de démarcation des deux pays voit 300 000 voyageurs par jour passer d'un endroit à l'autre pour un total annuel en 2012 de 37 098 192 véhicules. Au quotidien, quelque 35 000 camions transitent de chaque côté déplaçant des produits qui représentent une valeur de 1,6 G$. Dans ce contexte de diminution intensive des sommes allouées aux fonctionnaires, ils ont quand même saisi 24 243 armes à feu et intercepté pour 305 M$ de substance prohibée. Près de 51 000 personnes n'ont pu franchir les barrières et 12 enfants disparus ont été retrouvés.
Déjà, le gouvernement fédéral a sabré le budget de la surveillance des frontières de 140 M$, coupant des heures et postes de douaniers. De plus, il a utilisé la faux pour réduire de 190 M$ celui de la Gendarmerie du Canada (GRC), rappelle le député Rousseau. Il ajoute que les patrouilleurs de la GRC, dans nos secteurs, doivent parcourir quelque 100 km pour exercer un certain contrôle. Leur temps de réponse en cas d'urgence s'allonge, ce qui laisse la place à tous groupes criminels organisés de commettre impunément leurs méfaits.
Toutes les douanes n'ont pas le même achalandage. Le député Rousseau mentionne qu'une vingtaine de véhicules par jour circulent entre Chartierville et West Stewartstown. Ce sont ces petits postes éloignés qui subiront les automatisations pressenties. Est-ce que les voyageurs aimeront se présenter devant une caméra pour répondre aux questions d'un fonctionnaire logé ailleurs? L'écran permettra-t-il de procéder à toutes les vérifications? « Ça ne donne pas beaucoup de détails, ce genre d'appareil. Mais faute de renseignements délivrés par le fédéral, nous en sommes réduits à des spéculations », ajoute M. Rousseau.
« Ce gouvernement, affirme M. Rousseau, veut dévitaliser les régions en supprimant des postes bien rémunérés. Il brise le sceau de sécurité que les citoyens habitant près des postes frontaliers étaient habitués à considérer comme acquis. Et ce seront d'importantes redevances qui seront perdues ». Poursuivant, il parle du banditisme qui profitera de ces passages moins contrôlés pour passer en douce toute sorte de matériel prohibé, des armes et drogues sans oublier les immigrants illégaux.
Le député Rousseau promet d'être aux aguets. Sur la frontière, dans le comté Compton-Stanstead, 6 postes frontaliers permettent de filtrer le flot de voyageurs et de bien de consommation. Il s'en trouve trois dans Stanstead même, dans un court rayon. Il serait illusoire de croire que ces portes d'entrée seront toutes surveillées par du personnel. M. Rousseau attend avec impatience le rapport de la GRC qui sera déposé sous peu. Il devrait rendre compte de ce qui s'y passe en réalité.