Itinérance autochtone. Des bancs de parc aux bancs d’école

Vanessa Hébert, l’Itinéraire, Montréal

Arpentant les rues montréalaises, la caravane d’Exeko transforme les bancs de parcs en bancs d’école, les lieux publics en salle de projection et les rues en théâtre de création.

Bibliothèque mobile, cinéma sur roues, philosophes voyageurs et dessinateurs de rue, l’organisme propose une aide alternative aux itinérants autochtones : la créativité comme moyen d’intervention.

C’est à la jonction des rues Saint-Laurent et Ontario que je vois s’arrêter une caravane blanche aux dessins rouges. Les portes s’ouvrent et trois jeunes femmes en sortent. La codirectrice et cofondatrice, Nadia Duguay, me serre vigoureusement la main, tout sourire. Plus réservée, Sonia Conchon se tient en retrait et me salue timidement. C’est sa première fois à bord en tant que bénévole. Alexandra Pronovost, médiatrice de la soirée, m’accueille à son tour chaleureusement. Après quelques échanges concernant le déroulement de notre virée, je m’assois dans le véhicule. J’attache ma ceinture et on démarre.

«Premier arrêt, Atwater», dit Nadia en se penchant vers moi alors qu’Alexandra prend le volant. L’enregistreuse dirigée vers mes interlocutrices et un calepin sur mes genoux, qui tressautent à chaque nid de poule, j’en apprends plus sur la mission d’Exeko. «Nous sommes une caravane de médiation intellectuelle», explique Nadia. La caravane d’Exeko suit souvent celle de la Ka’washse, un autre organisme destiné aux itinérants autochtones, qui leur fournit des denrées alimentaires, des condoms et autres articles de première nécessité. Les deux organismes se complètent et travaillent main dans la main. «On donne de la nourriture pour l’âme et de la nourriture pour le ventre», dit Alexandra en souriant.

À l’angle des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine, Nadia demande à Alexandra de stationner la caravane. Le premier arrêt ne sera pas Atwater. Perplexe, je regarde Sonia qui me renvoie le regard interrogatif. Armée d’une barre tendre, d’une bouteille d’eau et de sa bonne humeur, Nadia sort du véhicule. Elle revient et me donne pour seule réponse : «On ouvre les portes!» La caravane ouvre ses portes pour tous les individus qui sont dans le besoin, autochtones ou non. «Notre objectif c’est l’inclusion. On ne sera pas exclusif dans la façon dont on agit», précise Nadia. Un gaillard nous regarde avec curiosité. Il se présente : «Moi c’est Sean Michael Lawry Smyth, dit-il fièrement. C’est la première fois que je peux dire mon nom au complet sans que cela ne soit pour la police».

Venant de l’ouest du Canada, Sean Michael nous raconte qu’il est membre d’une communauté des Premières Nations. Il reste vague concernant sa situation dans la rue, mais Nadia m’assure que c’est la bonne approche. «On jase avec eux d’autres sujets que de leurs problèmes parce que ça leur permet de réfléchir à autre chose», explique la codirectrice du projet. Avoir la tête ailleurs, c’est un peu comme sortir un pied de la rue. Alexandra me raconte une anecdote à ce sujet : «Une femme inuite nous a dit qu’elle ne boirait pas ce soir, qu’elle préférait lire son livre». L’évasion de la réalité de la rue est nécessaire et la littérature est un excellent moyen pour le faire tout en remplaçant les substances illicites. «Nous, on offre des services de santé intellectuelle», lance Nadia. Pour Sébastien, jeune du Nouveau-Brunswick que je rencontre au cours de la soirée, c’est aussi une bonne façon de s’occuper. «Je restais assis pendant des heures à ne rien faire. J’ai commencé à lire pour passer le temps».

La caravane repart et nous arrivons enfin à Atwater. Le parc, reconnu pour être très fréquenté par des itinérants inuits, est presque désert. «Il y a un hôpital qui reçoit les Inuits juste à côté du parc, mais il n’y a aucune activité prévue pour eux, déplore Nadia. Alors ils se retrouvent ici à flâner et cela ne règle pas leurs problèmes». Le véhicule s’immobilise et, très vite, une petite fille et sa mère approchent. Lucy, jeune Inuite, regarde timidement l’équipe. Elle sait qu’ils ont une panoplie de crayons pour qu’elle laisse aller son imagination et un sourire se dessine sur son visage. Elle choisit des craies. Alexandra s’agenouille avec elle et lui demande de lui montrer comment écrire des mots en inuktitut. «C’est de la médiation inversée», me chuchote Nadia.

Au lieu que ce soit nous les uniques professeurs, on leur demande de nous apprendre quelque chose». Une approche que la cofondatrice aimerait bien que le Québec adopte envers les autochtones. «On a tout à apprendre des communautés autochtones. Au lieu de pointer du doigt, on devrait tendre l’oreille».

Après avoir gribouillé sur le trottoir, nous remontons dans la voiture et retournons en direction de la rue Sainte-Catherine. Je leur demande pourquoi avoir ciblé les autochtones itinérants. «C’est à cause de la double exclusion qui pèse sur eux, m’explique Nadia. Ils vivent une exclusion sociale parce qu’ils sont dans la rue et un rejet des gens de la rue parce qu’ils sont autochtones». Elle raconte que l’itinérance chez les peuples autochtones est un phénomène courant à Montréal. «Ils partent de leur communauté avec de l’espoir dans leurs bagages et lorsqu’ils arrivent ici, ils font face aux préjugés des employeurs, de ceux qui louent des appartements et de plein d’autres gens».

Alexandra s’arrête quelque part près d’un banc où sont assis deux hommes et l’équipe se tourne vers moi en me tendant barres tendres, bouteilles d’eau et calepins. C’est à moi de jouer.

Étonnée par ma timidité, je tends aux deux hommes les objets que j’ai en main et leur lance : «Si vous voulez, on a une bibliothèque…» Curieux, ils me suivent et trouvent, chacun leur tour, un petit trésor littéraire qu’ils empruntent. «Vous avez des livres de psychologie? demande Mario, l’un d’eux. Vous savez, j’aime la psychologie parce que ça donne envie de connaître l’autre». Les larmes aux yeux, Mario raconte quelques bribes de son histoire, mais parle surtout de sa passion pour la psychologie. Avant de partir, il regarde la camionnette et s’affole : «Si on ne se revoit pas, comment pourrais-je vous remettre le livre? Vous en avez besoin si vous voulez aider d’autres personnes comme vous m’avez aidé!» Nadia et Alexandra lui envoient la main en le rassurant: «Ne t’inquiète pas, on repasse souvent».

«Pourquoi vous me parlez? C’est bien gentil. Vous m’aidez». Ces paroles sont souvent adressées à l’équipe d’Exeko qui s’arrête chaque fois qu’elle voie une personne sans logis. Le projet pilote Exeko continuera de rouler jusqu’en automne 2013. L’équipe souhaite trouver des partenaires financiers pour continuer d’apporter une touche de couleur dans le gris du béton.

 

La mission d’Exeko

La caravane itinérante d’Exeko est un des nombreux projets d’idAction, un organisme dont la mission est l’intégration des jeunes de 15 à 35 ans qui sont marginalisés ou à risque de l’être. Depuis six ans, cet organisme a mis sur pied plus de 150 projets rejoignant 1000 participants. Malgré la diversité de médiation auxquels l’organisme fait appel, ses objectifs restent les mêmes : transmettre des connaissances, conscientiser son groupe cible aux différents enjeux sociaux auxquels ils font face, les initier à des actions réfléchies et contribuer à une action de solidarité sociale. «Nous sommes tous capables de réfléchir, de porter un jugement sur le monde qui nous entoure, d’être acteurs du changement social. Il faut seulement en avoir les moyens», précise Nadia Duguay, cofondatrice du projet de la caravane itinérante.

 

 

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