François Pagé, La Quête, Québec
Le nouveau tribunal pour itinérants de Québec est « un bon premier pas », selon une experte. Elle note cependant qu’il reste beaucoup de chemin à faire pour réconcilier les itinérants de la Capitale-Nationale avec la justice.
« Il faut bien commencer quelque part. Ça réinsuffle le dialogue à la cour municipalequi était sur le pilote automatique », aconcédé Céline Bellot, du Centre derecherche de Montréal sur les inégalitéssociales et les discriminations. Coauteurede la recherche qui a révélé en 2011 unejudiciarisation croissante des itinérants àQuébec, Mme Bellot juge toutefois quel’initiative de la Ville prend le problème àrebours. « On s’attaque seulement à laconséquence. On prend les choses en mainsà l’étape du tribunal. On ne règle pas laquestion des contraventions qui n’ont pasde sens ».
Une étude publiée par la chercheuse il y a à peine plus d’un an avait dévoilé une augmentation de 300 % du nombre de constats d’infraction remis aux sans-abri de Québec au cours de la dernière décennie.
La Ville de Québec annonçait en janvier la mise en place d’un tribunal adapté pour les gens ayant des troubles de santé mentale, de toxicomanie ou d’itinérance. Le projet IMPAC propose des services d’accompagnement juridique, de gestion de la dette et de travaux compensatoires afin d’éviter les peines d’emprisonnement pour non-paiement d’amendes. La Cour veut travailler en collaboration avec les organismes communautaires afin de trouver des solutions durables aux problèmes des contrevenants, par le biais, par exemple, d’un programme de traitement de la toxicomanie.
« On conserve le même cadre de droit, ce sont les mêmes règles qui continuent de s’appliquer, c’est davantage dans l’approche qu’il y a une distinction », a néanmoins prévenu Annie Gaudreault, directrice du greffe de la Cour municipale, lors du point de presse annonçant le projet.
C’est justement ce que déplore la chercheuse Céline Bellot. « On demeure dans le même système et on continue de judiciariser l’itinérance. Par exemple, pourquoi ne pas utiliser le levier thérapeutique en amont plutôt qu’attendre après la Cour ? »
En se basant sur l’expérience de Montréal où des mesures similaires sont déjà implantées, Mme Bellot croit qu’on verra le nombre de constats d’infraction diminué dans environ cinq ans. « À force d’annuler des contraventions, on va se demander pourquoi on les donne au départ ».
La professeure de l’Université de Montréal croit cependant que le maire Régis Labeaume se met le doigt dans l’œil en espérant une diminution des récidives des contrevenants, grâce au projet IMPAC.
« On utilise le vocabulaire de la délinquance quand on parle de récidive. Mais l’itinérance n’est pas un choix !», s’est-elle indignée.
Selon elle, il doit y avoir de la conciliation entre les citoyens, les marchands et les sans-abri. Une initiative de ce type existe à Montréal depuis bientôt trois ans. Il y aurait environ huit fois moins de plaintes depuis la mise en place de stratégies de médiation.
« Il faut comprendre que la justice et la répression ne sont pas des solutions », a martelé la chercheuse.
Cette dernière position est partagée par le Barreau du Québec. L’organisation demande qu’on cesse de donner des contraventions aux itinérants et que celles impayées soient suspendues.
« Le profilage social contribue à l’effritement de la démocratie et de la règle de droit », a soutenu Claude Provencher, directeur général du Barreau, dans une entrevue accordée à La Quête. Il souligne que les itinérants ont à traiter avec la justice pour des comportements tolérés chez la plupart des citoyens. « Je ne crois pas qu’on va venir me voir si je m’étends sur un banc en complet ».
M. Provencher est d’avis que la judiciarisation des sans-abri engorge inutilement les tribunaux et est dispendieuse pour les contribuables. Selon une étude de l’Université Laval datant de 2006, un itinérant coûterait en moyenne près de 10 000 $ à l’État québécois en services juridiques.
« Nous avons besoin d’une politique globale sur le dossier de l’itinérance. Il faut travailler en prévention. Mais en attendant, c’est sûr qu’on encourage toutes les mesures qui peuvent aider les plus démunis », a statué le directeur du Barreau.
Présent à l’inauguration du projet IMPAC, le ministre de la Justice, Bertrand St-Arnaud a dit travailler au développement d’initiatives similaires à Trois-Rivières et Gatineau.
« C’est plus compliqué dans d’autres régions parce qu’il n’y a pas nécessairement le support de la communauté en termes d’organismes », a-t-il toutefois nuancé.