Privé de médecins

Marc Simard, Le Mouton Noir, Rimouski

L’arrivée d’un nouveau médecin de famille dans une région comme le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie ou l’Abitibi-Témiscamingue est toujours perçue comme une lumière au bout d’un tunnel par la population, mais surtout par ceux qui n’en ont pas. Dans les plus petites localités, c’est littéralement la fête au village. La nouvelle est aussi la bienvenue pour les autres médecins qui y voient une façon de respirer un peu tout en maintenant la qualité du service offert aux patients. Il y a quelques semaines, le miracle s’est produit à Rimouski. Le docteur Christian Fortin ouvre son cabinet. Il pourra accueillir plusieurs dizaines de nouveaux patients en quête du graal médical. Mais une bonne nouvelle en cache souvent une moins bonne. Le Dr Fortin n’est pas affilié à la Régie de l’assurance maladie du Québec. Il n’accepte pas la carte soleil comme on l’appelle. Il accepte cependant la carte de crédit. Résultat, il faut payer de notre poche chaque visite. L’ouverture d’un dossier vous coûtera 85 dollars, une consultation 150 dollars et un bilan de santé complet… entre onze cent et treize cent dollars. Un pas de plus vers un système de santé à deux vitesse.La Protectrice du citoyen du Québec, Raymonde Saint-Germain, vient d’ailleurs, il y a quelques semaines, de dénoncer une fois de plus la situation. Il s’agit bien d’argent. Ceux qui en ont accèdent plus facilement aux soins et surtout…plus rapidement. Rien de nouveau sous le soleil, le principe existe depuis des lunes. Mais la question que Mme Saint-Germain se pose est simple : jusqu’où sommes-nous prêts à aller, comme société, vers la privatisation des soins de santé ? Il n’est pas question d’enrayer complètement le phénomène mais plutôt d’en régir l’utilisation. Le principe d’universalité des soins de santé au Québec est envié partout à travers la planète. «La médecine à deux vitesses vient bafouer ce principe », dit Raymonde Saint-Germain, qui ajoute que ce n’est pas acceptable et qu’il faudra que l’État repense le système de santé en profondeur.

La question s’est rapidement retrouvée entre les mains des politiciens. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Réjean Hébert, croit que ce sont les insuffisances du système public qui font prendre de l’ampleur au phénomène. Pour l’instant pourtant, il ne semble pas y avoir de solutions concrètes. Québec versera toutefois 70 millions de dollars dans les groupes de médecines familiales, une porte d’entrée plus accessible pour ceux qui n’ont pas de médecin de famille attitré. De cette somme, 60 millions iront aux médecins pour l’informatisation des dossiers médicaux. Une meilleure gestion des dossiers entraînera-t-elle une plus grande capacité à rencontrer davantage de patients ? La question demeure entière.

La médecine privée est en passe de devenir un empire dont les ramifications commencent à peine à surgir. Depuis 2009, les Cliniques médicales Lacroix de Québec ont développé un véritable réseau qui dépasse maintenant largement les frontières de la vieille capitale. Actuellement, huit cliniques, ou cliniques affiliées, sont établies aux trois coins de la province. Pour le moment… Le Dr Marc Lacroix est à la recherche de médecins intéressés à quitter le système public, ici dans le Bas-Saint-Laurent. Il serait facile de se réjouir en émettant l’hypothèse que le système public sera moins engorgé. Oui, mais les médecins qui changent leur fusil d’épaule sont autant de professionnels de la santé qui ne seront plus disponibles pour les moins nantis.

 

Régime de soins universel

En juillet 1970, la Loi sur l’assurance maladie, déposée par le gouvernement libéral de Robert Bourassa, est adoptée. Ce programme, qui couvre l’ensemble des soins et des services, constitue le pilier du nouveau système de santé québécois. Ces réformes sont aussi axées sur l’amélioration des conditions sociales, l’accès gratuit aux soins et la prévention. Afin de réaliser ces objectifs, l’État québécois instaure plusieurs politiques sociales pendant les années 1970 et crée plusieurs organismes comme les centres locaux de services communautaires (CLSC).

Depuis les années 1980, les coûts liés au maintien d’un système de santé public ont explosé. Cette situation est en partie due au vieillissement de la population, à la surconsommation de soins de santé, aux coûts des médicaments et des nouveaux traitements, ainsi qu’au besoin continuel de moderniser les équipements. À la fin des années 1980, le gouvernement québécois amorce une réorganisation du système de santé, le « virage ambulatoire », afin de réduire les dépenses. Certains établissements de santé sont fermés ou regroupés, tandis que d’autres doivent s’acquitter de nouvelles tâches. Certaines compressions budgétaires affectent la qualité des services offerts aux citoyens dans le réseau de la santé. Malgré cela, la part du budget québécois accordée à la santé atteint 45 % et va continuer de grimper étant donné le vieillissement de la population. Afin de régler ce problème, l’une des solutions proposées est d’accorder une plus grande place au secteur privé dans le domaine de la santé. Cette option représente un choix de société important puisqu’elle remet en cause le principe des réformes des années 1960 et 1970, soit la gratuité du système de santé.

La privatisation du système est donc amorcée depuis l’instauration même du régime universel. Il ne faut pas se surprendre de constater, aujourd’hui, la perte de contrôle du gouvernement. Il faut cependant se poser la question : les élus souhaitent-ils vraiment changer la donne ? Y a-t-il aussi, où y aura-t-il aussi un système basé sur la corruption avec la présence sans cesse grandissante du privé ? Les réponses viendront mais sommes-nous prêts à les entendre ?

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