Les conteurs d’histoires

Jean-Pierre Robichaud, Le Pont de Palmarolle, Palmarolle

Dans la campagne québécoise d’antan, le mois de janvier avait la réputation de ne pas être comme les autres. Les festivités familiales s’y succédaient d’une façon presque ininterrompue.

Au cours des veillées qui s’organisaient alors, un événement en particulier avait l’art de captiver l’assistance : c’était la participation du « conteur d’histoires ». Lorsque celui-ci toussait bruyamment et avançait sa chaise vers le milieu de la cuisine, l’auditoire comprenait que le spectacle allait commencer. Un silence peu commun s’installait dans la maison.

Après avoir bourré sa pipe d’un tabac odoriférant,  le conteur commençait sa première histoire. Pour tenir ses auditeurs en haleine, le conteur avait plusieurs tours dans son sac. Lorsque son récit s’y prêtait, il appuyait ses dires par la mimique de son visage et par des gestes appropriés. Il avait recours aux différentes intonations de sa voix pour souligner tantôt les passages sinistres d’un conte, tantôt les drôleries de l’un de ses personnages. Le spectacle ne manquait pas de couleur, ni les histoires de piquant.

Chaque conteur possédait son propre répertoire d’histoires. Elles étaient transmises de bouche à oreille sans être écrites.

Ces histoires s’inspiraient souvent de très vieux contes d’origine française. On y évoquait des royaumes lointains où régnaient des rois et des princesses et où de malicieux personnages comme les sorciers venaient semer la zizanie. Comme dans les films, les choses finissaient par s’arranger et l’histoire se terminait sur une note de gaieté.

À l’occasion le conteur se servait de contes plus cauchemardesques qu’il gardait pour la

fin de la soirée, au moment où les enfants étaient couchés. Avec les années, les conteurs déformèrent ces légendes européennes et y introduisirent des éléments typiquement québécois. Certains y prirent goût et inventèrent leurs propres histoires basées sur des faits survenus au pays. C’est ainsi que sont née des contes tels « La chasse-galerie » et « La Corriveau » qui sont encore sur les lèvres des vieux conteurs québécois.

Les contes variaient en longueur. En moyenne ils pouvaient durer entre une demi- heure et une heure. Lorsque l’histoire s’achevait, le groupe manifestait son contentement en applaudissant à tout rompre. Le maître de la maison s’empressait de verser un grand verre de « remontant » à l’artiste qui l’acceptait avec un sourire.

En voici un que tous, jeunes et moins jeunes, ont déjà eu vent.

 

Le bonhomme dans la Lune

On a longtemps raconté qu’il y a très longtemps, un homme s’entêtait à travailler le dimanche plutôt que d’assister à la messe. À plusieurs reprises, les gens du village lui avaient fait connaître leur désapprobation. Puis, craignant l’influence néfaste sur la jeunesse du patelin, ils s’en plaignirent à leur curé.

Fort de l’appui de ses ouailles, l’homme de Dieu alla voir le récalcitrant et le réprimanda. Ce dernier, qui considérait la voie du péché pas mal plus irisée que la soumission aux préceptes de l’Église, l’envoya vertement promener. Alors le curé se figea, ainsi que le plâtre de ses statues. Il observa d’abord l’incroyant de l’oeil de l’inquisiteur suspicieux.

Puis son visage devint ensuite celui de la réprobation à mesure que des vagues haineuses le balayaient en tout sens. Il pointa son gros index accusateur sur le récalcitrant et lui lança : « Si, ce dimanche, tu scies encore du bois pendant la messe, la colère de Dieu s’abattra sur toi ». Et sur ce, il tourna les talons dans un froufroutement de soutane offensée.

Le dimanche suivant, les paroissiens s’étonnèrent, en sortant de l’église, d’entendre le frottement d’une scie sans toutefois apercevoir l’impénitent. Le soir venu, on dut constater que le bruit venait du ciel et que le pécheur avait été condamné à scier du bois sur la Lune pour l’éternité.

Certaines personnes âgées continuent d’affirmer qu’avec de bons yeux et un peu d’imagination, on arrive encore à le voir.

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