Denys Chabot, L’Indice bohémien, Rouyn-Noranda
Les plus vieux d’entre nous se rappelleront sans doute de Jean-Pierre Bonneville, directeur de La Frontière et journaliste à la réputation douteuse, aux idées effrontément réactionnaires, aux longs récits de voyage narcissiques, d’une éloquence vieillotte, et dont la carrière journalistique s’est terminée dans la déchéance, au milieu du scandale de la viande avariée.
On semble avoir oublié que si son étoile s’est à ce point flétrie, si son discours s’est terminé dans l’amertume la plus totale, il fut un temps où ce journaliste brillait par la fraîcheur de son inspiration, par sa verve primesautière et par ses ressources littéraires hors du commun. Combatif, mordant, corrosif, fouineur et coloré comme pas un, il n’est pas exagéré de dire que ce fut le journaliste le plus finement lettré que compta l’Abitibi-Témiscamingue. Il n’a jamais craint de parsemer ses articles de citations de Rabelais ou de Montaigne, avec son air de ne pas y toucher, sans que ce soit pour éblouir le quidam ou impressionner la galerie.
C’est lorsque la direction de l’hebdomadaire La Gazette du Nord décide de quitter Amos pour emménager à Val-d’Or, en 1948, qu’un nouveau groupe de journalistes fait son apparition, en rupture totale avec la génération précédente. Ce groupe préside à la naissance de L’Écho abitibien, en janvier 1950. D’une solide scolarité, avec l’arrogance de la jeunesse, il n’hésite pas à tirer la barbe des vieux. Il compte dans ses rangs Lucien Fontaine et Jean-Pierre Bonneville qui redonnent au journalisme abitibien un souffle qu’il avait depuis longtemps perdu. Disciple de Léon Daudet, de Léon Bloy et de Jules Fournier, ami de Claude-Henri Grignon, Bonneville y exploite avec brio son côté hilarant et sa verve pamphlétaire.
Vivement colorés, d’une expression vive et drue, ses billets écrits à la sortie de la Cour de magistrat font se crouler de rire ses lecteurs, qui de semaine en semaine en redemandent. Il y a chez lui du Balzac, celui des Contes drolatiques. C’est effectivement d’une drôlerie et d’un mordant inégalés, d’un réalisme stupéfiant, typique du Val-d’Or pionnier grouillant de vie, de petites magouilles et de truculents démêlés avec la justice. Pour le lecteur d’aujourd’hui, quel choc ! C’est sans aucune mesure avec le journalisme qui a cours, le plus souvent dominé par les dictats du politiquement correct, la forme la plus récente du puritanisme ravageur, le mode de censure propre à notre époque soi-disant permissive. Cela nous fait comprendre que la société a régressé depuis, tant sur le plan des libertés que sur celui du droit à l’irrespect, à l’impertinence, quand la pertinence l’exige.