Gilles Simard, Droit de parole, Québec
La sympathique femme au regard vif et clair qui se tient devant moi se raconte avec des gestes larges et une certaine fébrilité dans la voix. Comme si elle avait peur de manquer de temps. Ou de mots. Ou comme quelqu’un qui a trop longtemps gardé pour elle l’incroyable histoire de sa vie… Et quel périple que le sien! Quel cheminement! De fait, la jeunesse et une grande partie de la vie adulte de Caroline auront été grevées par l’inceste, les abus sexuels et d’autres violences de toutes sortes. Une vie en dents de scie, avec des orages et des accalmies, marquée au coin de la maladie mentale, avec « en prime » des hallucinations visuelles et auditives en permanence. Autant de turbulences psychiques et physiques qui l’amèneront à s’automutiler et à faire des tentatives de suicide pour enfin trouver le repos, trouver la paix.
Tout cela jusqu’à il y a six ou sept ans, quand Caroline franchira pour la première fois la porte du Pavois, un organisme en santé mentale du quartier Limoilou. À cet endroit Caroline trouvera l’espoir, et s’impliquera dans les groupes dits de « rétablissement » et « d’entendeurs de voix ». Qui plus est, grâce à sa persévérance et à l’aide des intervenantes, elle deviendra ce qu’elle est aujourd’hui. Une femme beaucoup plus sereine, une mère de deux enfants beaucoup plus stable et épanouie, une citoyenne fière d’elle même, qui réalise ses rêves l’un après l’autre. Une participante aussi, devenue elle-même intervenante (à temps partiel) dans deux groupes d’entraide différents. Une femme enfin, avec un coeur grand comme la Vie, qui est passée de victime à vainqueur!
Une enfance malheureuse, tellement!
Caroline est l’aînée d’une petite famille de deux enfants et, dès son plus jeune âge, elle doit subir la violence quotidienne d’un père alcoolique et très souffrant qui s’en prend quotidiennement à elle et à sa mère En outre, à dix ans, elle est abusée sexuellement par son grand-père. « Après son geste, grand-papa me fait solennellement jurer de ne rien dire, parce que sinon j’allais faire beaucoup de peine à maman » dit-elle. Comble de malheur, trois ans après, la jeune fille perd coup sur coup sa mère et sa jeune soeur, cette dernière atteinte d’un cancer. « Là, enchaîne Caroline, mon père me dit que c’est de ma faute, et il menace de me tuer. Tous les soirs je m’endors en pleurant. »
Rendue au secondaire, la jeune adolescente vit beaucoup d’intimidation et, à quinze ans, elle se voit placée en famille d’accueil. Malheureusement, là aussi l’histoire se répète et la jeune fille est régulièrement abusée psychologiquement et sexuellement par « l’homme » de la maisonnée. C’est à la suite de cet épouvantable épisode que ses « voix » se manifestent pour la première fois. « J’étais paniquée, glisse-t-elle. Je me demandais bien d’où ça venait et ce que tout ça voulait dire. Les voix riaient de moi, m’insultaient, et elles ont commencé à prendre de plus en plus de place dans ma vie. «C’était absolument terrifiant! »
L’apparition du « Bonhomme »…
Des années plus tard, après avoir réussi à obtenir un diplôme en technique de garderie, et alors qu’elle travaille dans son domaine, Caroline et son conjoint décident d’avoir un bébé. Puis un deuxième. « Mais, de lancer la femme, mes voix se sont vite montrées jalouses de mes enfants. » Avec comme résultat que les visites chez le psychiatre, les hospitalisations, les médicaments, les diverses thérapies, la séparation d’avec son conjoint, les différents diagnostics (dépression récurrente, trouble de personnalité limite, psychose), tout ça s’enchaîne et s’enchevêtre à un rythme effréné.
À un moment donné, à 29 ans, alors qu’elle se trouve devant son psychiatre, Caroline voit apparaître un «bonhomme» que personne ne voit sauf elle. « C’était un homme méchant, d’insister Caroline. Un bonhomme désagréable au possible, violent, méprisant qui me dénigrait sans cesse. J’aurais voulu mourir, mais il me fallait tout de même penser à mes deux enfants. » En raison de quoi, la jeune femme prendra l’habitude de s’automutiler à presque tous les jours. Sa vie culminera en un véritable enfer et elle devra se battre bec et ongles pour garder la tête hors de l’eau. Ce qui ne l’empêchera pas de faire quelques malheureuses tentatives de suicide. Pour en finir avec le bonhomme et les voix. Pour trouver enfin la paix méritée!
Le Pavois, l’espoir!
Quelques années après, alors que sa vie s’écoule à vau-l’eau, Caroline franchit la porte de l’organisme en santé mentale Le Pavois. Elle est aussitôt séduite par la chaleur de l’accueil et aussi par la qualité de l’écoute, tant et si bien qu’elle ne tarde pas à s’impliquer en cuisine et dans différents stages. « Mon bonhomme – dont je ne parlais toujours pas à personne – n’aimait pas ça, mais je le faisais quand même. J’accumulais de petites victoires dont j’étais fière. »
Puis, à 44 ans, après une fameuse rechute, Caroline frappe à la porte du programme « Mieux vivre avec les voix ». Dès lors, sa vie change du tout au tout. «Je me suis tout de suite sentie acceptée par le groupe, dit-elle. Et surtout, j’ai trouvé en Brigitte Soucy et Pierre Thivierge deux formidables intervenant- es qui (avec le groupe) m’ont grandement aidé à développer des stratégies concernant mes voix et mon bonhomme.»
Incidemment, au fil des jours Caroline a appris à négocier avec l’hallucination, et à faire en sorte que cette dernière prenne de moins en moins de place dans sa vie. Ce qui fait qu’au bout d’un certain temps, le détestable personnage est passé de quelque six pieds à seulement quelques centimètres.
« Et depuis juin, s’exclame joyeusement Caroline, je ne le vois plus du tout. Même qu’au début, ça m’angoissait un peu ajoute-t-elle en riant. Parce que j’avais pris l’habitude de prendre ses remarques négatives comme un défi. Ça me stimulait dans mon rétablissement. »
Oser vivre ses rêves!
Aujourd’hui, même s’il lui arrive encore de vivre des périodes difficiles, Caroline vit pleinement son rétablissement. Ainsi, outre de faire du sport et de s’adonner à toutes sortes d’activités, elle agit comme intervenante à temps partiel dans deux groupes différents, Le Pavois et le Centre entraide Émotions, à Ste-Foy.
Qui plus est, Caroline réalise des rêves…
Elle ose!
Son premier était de prendre l’avion et elle l’a fait en volant allègrement à bord d’un Cessna il y a peu. « Incroyable la sensation du décollage et de l’atterrissage, je me sentais comme un oiseau. J’ai même piloté pendant un bon moment! » s’écrie-t-elle, les yeux brillants. Puis, elle qui voulait être un peu plus féminine, elle a vécu une expérience de transformation extrême. « Ça m’a aidé à me sentir plus belle, à prendre l’habitude de me regarder dans le miroir pour me dire que je m’aimais »
Finalement, Caroline, qui témoigne de plus en plus souvent de son rétablissement, caresse aussi un autre rêve : celui d’écrire (ou de co-écrire) un livre qui raconterait l’histoire sa vie.
À voir la belle résilience qui l’habite et aussi tout l’acharnement dont elle fait preuve pour son relèvement, nul doute (avec un soupçon de chance) que ce dernier rêve se réalisera! En tout cas, on le lui souhaite de tout coeur!