Thomas Hellman chantre Roland Giguère : la musique des poètes

S. Larochelle, Échos Montréal, Montréal

Au cours des cinq dernières années, les Douze hommes rapaillés ont mis en musique les mots de Gaston Miron, Yann Perreau a transformé les vers de Claude Péloquin en chansons et Ariane Moffatt a marié son piano à la verve de Clémence Desrochers. Preuve que la poésie continue de séduire les musiciens, l'auteur-compositeur-interprète Thomas Hellman vient de lancer un livre-disque créé à partir des poèmes et des gravures de Roland Giguère, artiste multidisciplinaire disparu en 2003.

En janvier 2012, lorsque le Studio littéraire de la Place-des-Arts propose à Thomas Hellman de monter un concert littéraire, le musicien profite de l'occasion pour offrir une dimension mélodique aux textes de Patrice Desbiens, Eduardo Galeano, Allen Ginsberg, John Giorno, Samuel Archibald et de plusieurs autres. Quelques jours avant la représentation, un ami lui tend une copie du recueil L'âge de la parole, de Giguère, en lui disant qu'il doit absolument découvrir cet artiste. Fasciné par la musicalité des mots du défunt poète, Hellman se lance dans l'aventure d'un livre-disque en sélectionnant 13 poèmes écrits dans les années 60 et 70.

« Les mots de Roland Giguère ont des saveurs très subtiles, rien de vulgaire, de trop salé ou de trop épicé, explique-t-il. J'ai voulu reproduire en musique tous les contrastes d'ombre, de lumière, d'espoir et de tristesse que l'on sent dans sa poésie. Je voulais quelque chose de minimaliste et j'ai décidé d'utiliser seulement les instruments que je sais jouer (piano, banjo, guitare acoustique), ainsi que la contrebasse. J'invitais un ou deux musiciens à la fois et on travaillait jusqu'à ce qu'on ait trouvé la ligne musicale parfaite pour un texte. »

L'enregistrement de la majorité des morceaux a été réalisé dans un atelier situé au-dessus du Lion d'Or, au deuxième étage d'un ancien hôtel où séjournaient ceux qui construisaient le pont Jacques-Cartier, à la fin des années 20. « Ce lieu me liait au passé avec ses vieux planchers et ses vieux murs qui créaient une réverbération magnifique pour le son de l'album. J'avais l'impression de collaborer avec un fantôme qui avait écrit ses poèmes vingt ans avant ma naissance. »

Détenteur d'une maîtrise en littérature française de l'Université McGill et passionné par la chanson à textes, Hellman considère qu'il est tout à fait naturel de mettre certains poèmes en musique. « La poésie seule est une expérience en soi, mais il ne faut pas oublier que la poésie était un art oral à l'origine. Quand Homère récitait l'Odyssée, il le chantait. Et les troubadours fredonnaient une poésie faite pour être entendue. »

Malgré un intérêt manifeste pour la poésie, l'artiste est conscient des nombreux torts qui lui sont faits depuis des années. « J'ai vu plusieurs professeurs assassiner Rimbaud et Baudelaire devant moi, en pleine classe. Pourtant, Baudelaire était un artiste révolutionnaire et un exemple de contre-culture. N'importe quel jeune qui comprend ça va embarquer. Les théories académiques peuvent être d'une platitude massacrante, alors que la poésie a quelque chose de sublime à offrir. »

Bien que son regard n'ait jamais croisé celui de Roland Giguère dans la réalité, Thomas Hellman se dit reconnaissant d'avoir été mis sur la route de ce poète d'autrefois. « J'ai rencontré son œuvre par hasard, je me suis laissé guider en écoutant mes émotions et j'ai entre les mains un livre-disque qui me touche beaucoup. Je vis quelque chose d'encore plus beau que ce à quoi je m'attendais.»

Préparant actuellement une série de spectacles avec les textes de Giguère et de plusieurs autres poètes, Hellman retrouvera bientôt ses propres chansons pour un nouvel album original, en plus de préparer un projet de reprises folk pour enfants avec la maison d'édition La Montagne Secrète, qui a déjà collaboré avec des artistes tels que Gilles Vigneault, Bïa et Paul Kuginis.

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