La vie après la fermeture de la machine 10

Réal Boisvert , La Gazette de la Mauricie, Mauricie

Après la Belgo en 2007, en attendant que Rio Tinto ne ferme ses cuves à la fin de 2014, c'est ce 26 novembre 2012 que la machine numéro 10 de l'usine Laurentide à Grand-Mère aura craché ses derniers mètres cubes de papier. Ceux des 111 travailleurs mis à pied qui auront assisté ce jour-là aux derniers couacs des calendes et à l'ultime roulement des séchoirs auront le cœur gros. En retournant chez eux avec leur boîte à lunch vide, ils auront à coup sûr une pensée pour leur famille proche, certains pour leurs pères et d'autres pour leurs grands pères, autant d'individus industrieux qui ont servi la bête leur vie durant avec la constance des métronomes, avec la vaillance d'une multitude dévouée et empressée. Tout ça, au tout début, pour des salaires ingrats et des horaires impossibles; tout ça à la fin pour de meilleures conditions il est vrai mais avec, à chaque quart de travail, l'inquiétude de savoir si ce ne sera pas le dernier.

Comment ne pas prendre parti pour les ouvriers ! Comment ne pas être révolté par l'annonce de cette fermeture survenue trois semaines après les ronrons mielleux des représentants de la compagnie devant le maire Anger et l'ex-ministre Boulet ! Impossible d'effacer l'ardoise du ressentiment quand on sait que cette usine a bénéficié de généreux contrats d'approvisionnement et que les fonds publics l'ont renflouée à la hauteur de 25 millions $ il y a quelques années à peine, dans l'espoir de faire gagner quelques points de productivité à une machine certes performante mais, en comparaison à celles de d'autres moulins, de plus en plus cacochyme. Et il n'y a pas si longtemps, au bord de la faillite, faisant le dos rond avec la Loi sur les arrangements avec les créanciers, les actionnaires consentaient une généreuse prime de séparation de 17,5 millions $ à leur président sortant.

Bien sûr, on aura beau japper à la lune, cela n'arrêtera pas le mouvement des marées. Les valeurs qui animent les grands chevaliers de l'industrie s'arriment d'abord et avant tout, cela même sous le couvert du développement durable, à la maximisation des profits. Pour Produits forestiers Résolu cela signifie un bénéfice d'exploitation de 26 millions $ pour le troisième trimestre de 2012. Et dire, selon les mots des porte-parole de la compagnie, que l'industrie des pâtes et papier navigue dans un marché en décroissance, pour ne pas dire en déroute. Que n'a-t-on pas récolté comme excédents au temps des vaches grasses !

Curieusement, paradoxalement pourrait-on même ajouter, par les temps qui courent, là où pareil accablement peut le mieux être retroussé, c'est peut-être à Shawinigan, ville durement éprouvée s'il en est par les déconvenues de la libre entreprise. Voilà un endroit qui, au fil du temps, a acquis une résilience peu commune. Mais voilà aussi une ville inspirée par une administration visionnaire, soutenue par des organisations publiques qui travaillent ventre à terre, accompagnée par des gens d'affaire qui s'accordent un peu, non, beaucoup d'empathie et d'humanisme, une ville habitée par des citoyens résolus (c'est le cas de le dire)… Bref, voilà une ville qui est en passe de devenir un modèle de développement, une manière de dire que l'adversité n'est pas une fatalité.

Oui, il y a une vie après la fermeture de la machine numéro 10. Du dernier rendez-vous citoyen à Espace Shawinigan, en passant par le dynamisme et l'excellence démontrés lors de la tenue des Jeux du Québec et du rendez-vous de la Coupe Memorial, sans oublier la reconversion des locaux de la Belgo en incubateur d'entreprises et jusqu'aux nouvelles récentes qui font de la Cité de l'Énergie la capitale de l'entrepreneuriat, on en sait désormais un peu plus grâce à Shawinigan sur la façon d'envisager l'avenir dans un monde incertain.

Si on se fie à ce que l'on voit là, plutôt que de tabler sur les leurres d'un capitalisme moribond, il importe de miser sur la participation des citoyens et d'investir ses efforts dans le travail concerté. Aucun rendement n'arrive à la cheville du potentiel des individus et des communautés, que ce soient les plus déshérités comme les plus avantagés. Rien n'équivaut la richesse produite par eux pour peu qu'on leur donne la capacité d'agir et qu'on leur offre, dans une saine démocratie participative, la liberté de faire des choix.

Merci Shawinigan de nous donner la marche à suivre !

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