Mettre en scène l’aphasie

Camille Carpentier, L’Itinéraire, Montréal

Les panneaux noirs et les accessoires colorés contrastent de manière incongrue avec les murs blanchâtres de l’hôpital Villa Médica. Il est un peu plus de dix heures.

Les comédiens arrivent au compte-gouttes dans la salle exiguë qui fait office de local de répétition. À chaque nouvelle présence, la bonne humeur générale monte d’un cran. Le groupe est visiblement heureux de se retrouver. Pendant que certains s’échauffent, d’autres discutent avec la metteure en scène Isabelle Côté. Celle-ci orchestre avec une touche d’humour l’orientation de la discussion, qui se brouille rapidement au rythme des interventions des membres de la troupe. «C’est ça l’aphasie : on cible le sujet, et on discute après», explique-t-elle en riant.

Le groupe répète «Le facteur temps», une création d’Isabelle Côté qui présente de manière humoristique la réalité de l’aphasie, un trouble du langage qui affecte l’expression et la compréhension. Le Théâtre aphasique est hébergé par l’hôpital de réadaptation Villa Médica depuis maintenant 20 ans. Sa mission : la réadaptation et la réinsertion sociale des personnes aphasiques. On y offre des ateliers de théâtre ainsi que la possibilité, pour ceux qui y prennent goût, de se joindre à la troupe, aujourd’hui composée de 28 comédiens.

«Les gens viennent d’abord dans les ateliers pour poursuivre le travail qu’ils ont fait en orthophonie, explique Isabelle Côté dans son bureau débordant d’accessoires de scène. On fait du travail vocal, mais aussi du travail physique pour trouver des moyens de communiquer autres que la parole.»

Le théâtre a joué un rôle majeur dans la réadaptation sociale de tous les comédiens. Micheline, membre de la troupe depuis 2005, avoue qu’elle avait beaucoup de difficulté à parler avant de se joindre à la troupe, alors qu’elle s’exprime très clairement aujourd’hui. Pour Monique, qui en est à sa dixième année au sein de la troupe, le théâtre a été une réelle bénédiction. «C’est mon orthophoniste qui m’a dit de faire du théâtre. J’ai donc commencé à jouer et à participer à la chorale. Après six mois, j’avais fait d’énormes progrès. Elle m’a dit que je n’avais plus besoin d’elle!»

Malgré une paralysie complète ou partielle d’un membre ou un trouble de la parole, les six comédiens présents jouent avec une expressivité étonnante. Tous vivent pourtant avec des séquelles permanentes résultant d’un AVC, d’une tumeur cérébrale ou d’un traumatisme crânien. «L’aphasie peut affecter à différents degrés quatre niveaux de la communication : la compréhension, la parole, la lecture et l’écriture, souligne Isabelle Côté. Souvent, la paralysie touche aussi un membre.» Si le mal est très répandu, il reste plutôt mal connu. Pourtant, la moitié des 6000 victimes annuelles d’AVC au Québec sont atteintes d’aphasie, un nombre qui surpasse amplement les nouveaux cas de victimes de la maladie de Parkinson, beaucoup plus connue.

«Ça ne fait pas des miracles, dit Isabelle Côté, entourée de ses comédiens. Mais voir des gens, apprendre des textes, ça permet de socialiser et de faire des exercices vocaux et physiques. Puis rire, se trouver niaiseux et être plusieurs à se trouver niaiseux, ça ne peut pas faire de tort !» Elle éclate alors d’un rire contagieux qui se propage au reste du groupe et qui éclipse, l’espace d’un instant, le spectre de l’aphasie.

 

LE THÉÂTRE APHASIQUE SUR COMMANDE

La troupe du Théâtre aphasique se produira le 15 novembre prochain à la Maison de la Culture de Côtedes-Neiges (c’est gratuit). Elle y présentera la pièce Jeux,  scènes et délire. D’autres représentations auront lieu sur commande! En effet, la plupart des représentations des pièces produites par le Théâtre aphasique sont présentées dans des organismes communautaires, des résidences pour personnes âgées ou des entreprises afin de sensibiliser les milieux de travail aux personnes handicapées en général. Le public est donc très varié!

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