Pascal Alain, Graffici, Gaspésie
En Gaspésie, comme partout ailleurs au Québec, on vote au provincial depuis 1792. Même si tout n’est pas parfait – loin s’en faut – les moeurs électorales ont évolué en deux siècles. Une chose n’a pourtant pas changé : le manque d’intérêt des grands centres décisionnels pour la péninsule.
En 1792, les autorités britanniques plient sous la pression et implantent un système parlementaire permettant à la population du Bas-Canada (Québec) d’élire leurs premiers représentants. Bonne ou mauvaise nouvelle que l’annonce de ces premières élections? À vrai dire, la politique ne constitue pas le passe-temps préféré des Gaspésiens. Trop occupé à faire vivre sa famille, le pêcheur gaspésien ne se soucie pas de ce qui se passe à des centaines de kilomètres de la péninsule. Et vice-versa, pourrait-on dire.
Le district de Gaspé est tout de même créé en 1792, celui de Bonaventure apparaissant dans le paysage en 1829. À l’époque, il est fréquent de voir se présenter des candidats ne résidant pas en Gaspésie, d’où leur connaissance très limitée de la région. Un candidat opportuniste peut même se présenter dans deux comtés en même temps.
Prédominance de l’anglais
Conquête de 1760 oblige, la langue est l’anglais, même en Gaspésie. Quant à l’éducation, les institutions ne sont pas accessibles aux Gaspésiens. Résultat : les candidats et les députés, en plus de venir souvent de l’extérieur, sont très majoritairement anglophones. Entre 1791 et 1867, un seul député francophone se fait élire dans le comté de Gaspé en la personne de Jean-Thomas Taschereau, qui habite le district de Dorchester, au sud-est de Québec.
Voter pour la première fois
Au temps des premières élections, il fallait vraiment être motivé pour voter! D’entrée de jeu, les électeurs se comptent parfois sur une seule main. Aux élections de 1792, le député Félix O’Hara est élu député de Gaspé avec une majorité de trois voix sur un total de cinq votes! En 1796, il est réélu avec une majorité de quatre voix, encore une fois sur un total de cinq votes. De plus, à l’époque où Gaspé est le seul district politique en Gaspésie, il n’y a qu’un seul et unique bureau de scrutin, situé à Percé! Côté accessibilité, on a vu mieux! En 1800, le nombre de bureaux passe à deux, situés à New Carlisle et à Gaspé, deux bastions anglophones.
Le droit de vote à l’époque repose principalement sur le revenu et la propriété, et sur le sexe, les femmes étant exclues de cet exercice «démocratique». Voter peut également nuire à l’électeur. Le vote n’est pas confidentiel, car il se déroule à main levée, ce qui décourage bien des gens.
La compagnie Robin, pour ne pas la nommer, s’occupe directement de politique. Elle fait élire des députés qui lui sont favorables et fait savoir à «ses» pêcheurs que voter pour le mauvais candidat pourrait s’avérer dramatique pour l’avenir de leur famille. En 1830, un avocat de Québec fait remarquer que la compagnie a l’habitude d’engager des fiers-à-bras qui se déplacent entre Bonaventure et New Carlisle, armés de bâtons, pour empêcher les électeurs de voter.
Une irrégularité digne de mention
À l’élection de 1828, il semble que le député Robert Christie, ardent défenseur de la compagnie Robin et des Loyalistes, ait fait enfermer Joseph Barthe, le candidat de l’opposition, le temps que l’heure limite de la mise en candidature soit dépassée. Seul candidat, Christie a remporté l’élection par acclamation.
Tout compte fait, la Gaspésie d’hier (et d’aujourd’hui) semble bien loin des grands centres décisionnels. Dans les années1850, plusieurs écrits témoignent que tout ce qui « se trouve au-dessous de Québec semble séparé du reste du Canada». Des Gaspésiens écrivent même qu’ils vont «en Canada», comme si la péninsule était coupée du pays. Rien de surprenant d’apprendre que certains feront des démarches entre 1820 et 1840 pour que la Gaspésie soit rattachée au Nouveau-Brunswick, mais en vain.