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Marc Boutin, Droit de parole, Québec

On s’étonne de constater à quel point la région de Québec penche dans le conservatisme politique : engouement tenace pour la C.A.Q. et la radio-poubelle, une police intolérante et répressive (10 fois plus d’arrestations à Québec qu’à Montréal pendant le printemps érable, si on tient compte du nombre des manifestants), un maire populiste et réactionnaire qui ne pense qu’à placer ses petits gratte-ciel et ses temples sportifs comme autant d’hôtels sur un jeu de monopoly, une région engluée dans l’auto-boulocado-dodo avec son réseau autoroutier surdimensionné et ses interminables banlieues plattes. Québec, phénomène unique : ville plus rétrograde encore que la campagne qui l’entoure, plus à droite que tout le reste de cette « province » dont elle serait la capitale.

Il reste pourtant un îlot d’espoir : les quartiers populaires du centre-ville. Un grand nombre d’artistes y vivent et le vote du comté de Taschereau, du moins lorsqu’il incluait le Vieux Limoilou, a longtemps exprimé des tendances plus progressistes qu’ailleurs. Le 22 juin dernier, j’étais parmi les quelques cinq à dix mille manifestants à la grande marche dans les rues de Québec. Je reprenais espoir pour ma ville et côtoyaient des amis, des voisins, beaucoup d’inconnus et quelques artistes, de grands talents, mais peu connus du public. Le soir, j’écoute les reportages.Une manif semblable avait eu lieu à Montréal et s’exprimaient au nom des manifestants, Michel Rivard, Fred Pellerin, Pierre Curzi, Armand Vaillancourt, etc. De Québec, des commentaires tout aussi pertinents mais venant de jeunes étudiants, de personnes peu connues du grand public.

Depuis, j’interroge les gens du milieu: où sont les artistes de Québec quand vient le temps de prendre position sur les problèmes collectifs et les questions existentielles que posent aujourd’hui les jeunes? Je sais que Robert Lepage est empêtré dans des questions d’affaires et que le maire Labeaume a réussi à lier les mains de Chantal Gilbert, la représentante du milieu artistique de Saint-Roch. Ils ont voté tous les deux pour un règlement municipal aussi répressif que la loi 78 du gouvernement Charest, règlement qui, entre autres, interdit à quiconque de se trouver dans un parc entre 23 h. et 5 h. Je sais qu’Agnès Maltais est une artiste engagée, mais elle doit rester porte-parole de son parti.

À part les noms connus, Québec est quand même une ville artistique foisonnante. Le milieu théâtral de Québec est très productif et donne du travail à des artistes de premier plan. Il n’y a pas que les vedettes de la télévision, Québec a ses peintres, ses poètes, ses architectes, ses performeurs, ses danseurs et j’en passe. Quelques réponses types recueillies au hasard :

« Oui, mais à Québec, tout le monde est subventionné jusqu’aux oreilles, ou veut être subventionné, ce qui empêche de parler. »

« Moi, mon combat est esthétique » « Je travaille en atelier toute la journée, j’ai plus de temps pour autre chose »

« Notre œuvre parle d’elle même, elle est sociale et progressiste. On n’est pas obligé de manifester dans la rue pour le prouver » Que répondre sinon de dire : On n’est pas obligé de vendre son âme parce qu’on est subventionné et n’oublions jamais que la main qui nourrit l’artiste veut l’asservir.

Dans certaines situations, il faut la mordre et en assumer les conséquences, sans quoi notre art devient un commerce. L’art n’est jamais neutre. L’esthétique n’est jamais séparée d’un contenu et reste aussi politique que la vie elle-même. Les ateliers existent pour se préparer à faire face à ses pairs et il y a des temps dans la vie des peuples ou ce n’est plus dans les chapelles mais dans la rue que ça se passe.

Cet été à Québec, la sortie la plus sentie sur le sujet est venue d’une source improbable, d’un personnage, grand collectionneur d’art, que d’aucun pourrait situer à droite du spectre politique. Dans un article du journal Le Soleil (Valérie Gaudreau, 29 juillet 12, p.10), Marc Bellemare dit souhaiter voir chez les artistes d’aujourd’hui, un engagement dans l’arène public aussi exemplaires que celui des signataires du Refus Global, ce texte fondateur du Québec moderne. Selon lui, les temps sont mûrs pour un Refus Global numéro 2.

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