Genevièvre Génilas, Graffici, Gaspésie
PARC NATIONAL DE LA GASPÉSIE – De nombreux faons de caribous ont été observés sur le mont Jacques-Cartier au début de l’été. Une rare bonne nouvelle pour une population en voie de disparition, qui n’a jamais été si peu abondante.
Sur le sentier du mont Jacques-Cartier, dans le parc national de la Gaspésie, un troupeau humain monte à la rencontre du caribou. Après une heure de sueur, la forêt laisse place aux plantes alpines qui poussent dans un sol rocailleux balayé par le vent. Bienvenue dans le domaine du caribou.
Pendant notre halte au sommet, un mâle traversera le plateau en contournant des randonneurs accroupis. « J’ai tourné la tête et j’ai vu ce caribou qui sortait de nulle part. C’était magique. Il est passé à 15 mètres en s’arrêtant près de chacun de nous. C’était presque un défilé de mode! », lance Marie-Pierre Hébert, une jeune touriste belge qui n’est pas près d’oublier sa rencontre.
Un peu plus tôt, trois femelles et leurs faons sont venus brouter à portée de nos jumelles. Mieux : la semaine précédente, un garde-parc a observé 14 faons. « Ça faisait 20 ans que ça ne s’était pas vu! », affirme Marc L’Italien, garde-parc naturaliste. La partie est loin d’être gagnée pour ces petits, vulnérables aux prédateurs jusqu’à l’âge de six mois. Mais leur présence encourage ceux qui œuvrent à la protection du caribou. Ils en ont bien besoin. Parce que ça va mal pour le roi des cimes. L’automne dernier, la biologiste du ministère des Ressources naturelles et de la Faune, Mélinda Lalonde, et ses collègues ont effectué le décompte annuel des caribous : une journée de manège dans un hélicoptère secoué par les forts vents des sommets. En descendant de l’appareil, « on était très «débinés» », lance Mme Lalonde. Et pas à cause du mal de cœur. Au total, son équipe a observé un maigre 72 caribous, dont seulement deux faons, le plus bas nombre jamais vu. En tenant compte du fait que certaines bêtes passent inaperçues, le cheptel est estimé entre 83 et 105 individus.
Qu’est-ce qui empêche le caribou de prospérer? La « cause ultime », décrit Mme Lalonde, est la perte de son habitat. En hiver, le caribou descend des sommets pour manger le lichen qui pousse dans les arbres des forêts matures. Ce garde-manger de survie a diminué radicalement à cause des coupes forestières en périphérie du parc.
La jeune forêt a favorisé la multiplication des ours, qui s’y gavent de petits fruits, et des coyotes, qui y trouvent quantité de petites proies. Si un faon de caribou passe à leur portée, ils le croqueront. L’orignal, dont la densité atteint des records, s’égaie maintenant près des sommets. Il y attire les prédateurs, friands des carcasses de ce gros cervidé. Quoi faire pour sauver le caribou? Il faut restaurer les vieilles forêts, en faisant des coupes partielles plutôt que totales. « Ça peut prendre de 50 à 60 ans », admet Mme Lalonde. Le caribou tiendra-t-il jusque-là? La biologiste est convaincue que c’est possible. En attendant la repousse, on trappe les prédateurs dans l’habitat du caribou. Chaque année, des techniciens de la faune mettent environ 30 ours et 40 coyotes hors d’état de nuire.
L’hiver prochain, on capturera des caribous pour les munir de colliers émetteurs. Mieux connaître leur utilisation du territoire permettra de raffiner les mesures de protection. On en profitera pour prélever du sang et des poils afin de mesurer leur état de santé et leur diversité génétique. Et il faut continuer de « baliser » la présence humaine, malgré certaines critiques de l’industrie récréotouristique, dit Mme Lalonde. Tous ont à gagner à la survie du caribou, estime-t-elle. « Le caribou, c’est un moteur économique et une carte postale pour la Gaspésie. »