Soraya Elbekkali, l’Itinéraire, Montréal
«J’ai toujours perçu ma culture comme étant très vivante. Je ne la voyais pas comme quelque chose d’accessible uniquement dans les livres. Mais comme quelque chose qu’il fallait que je vive pleinement.» Cette culture dont la poète Rita Mestokosho parle, c’est celle de la communauté innue d’Ekuanitshit (ou Mingan en français), située à 200 km à l’est de Sept-Îles et regroupant, selon le dernier recensement, 527 âmes. Une culture vieille de plusieurs centaines d’années, qui prend racine dans la forêt, les rivières, la terre mère. Rita Mestokosho a décidé d’en faire la promotion par le biais de l’écriture en publiant son premier recueil en 1995. Après avoir fait voyager ses mots un peu partout autour du globe, elle revient à Montréal le 6 août pour participer à la soirée poésie Le Nitassinan dans mon rêve, présentée dans le cadre de la 22e édition du Festival Présence autochtone.
Le ton de la poète innue, jointe au téléphone, est posé, mais déterminé. Elle a la voix qui concorde avec son image médiatique : celle d’une femme sensible, rieuse, mais profondément résolue. Cette résilience, les Québécois ont pu la découvrir en 2008.
À l’époque, le projet hydroélectrique d’exploitation de la rivière Romaine était dans sa phase de consultation publique et retenait l’attention des Québécois. C’est en tant que poète, mais aussi comme conseillère élue à la culture de la communauté innue d’Ekuanitshit que Rita Mestokosho a tenté de lever le voile sur les effets ravageurs de ce projet. «Aujourd’hui, en partie sédentaires, nous éprouvons toujours un profond attachement à cette rivière. Non pas par simple nostalgie, mais parce que nous vivons encore sur ce territoire. La première chose précieuse que vont noyer les barrages, c’est notre culture. Et notre culture est encore vivante», déclarait-elle le 2 décembre 2008 dans une audience publique. Son appel a été entendu par Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature 2008, qui a publié un billet dénonçant le projet dans le quotidien français Le Monde. Hydro-Québec et le gouvernement libéral ont, pour leur part, fait la sourde oreille. Alors que le bétonnage du site naturel, voisin de la communauté de Rita, est bien avancé et que le Plan Nord prend forme, la poétesse est-elle amère ou pire, découragée? Non, m’assure-t-elle. «On continue toujours, on croit que c’est important, pas juste pour les Innus, mais pour tout le monde.»
En plus de son engagement politique et de son écriture, Rita Mestokosho coordonne la mise sur pied d’une maison de la culture à Ekuanitshit. Un lieu de promotion de la culture innue où se tiendront des expositions permanentes,mais aussi des ateliers de savoir-faire innu. Présenter la culture innue aux Innus? Oui, un tel lieu est vital dans les communautés où les jeunes sont souvent tiraillés entre modernité et traditions, croit-elle. «La culture doit être forte pour que le jeune s’y sente enraciné.»
Elle soutient que ces jeunes doivent trouver leur équilibre, comme elle même l’a fait, non sans difficulté, mais il est préférable qu’ils soient guidés par leurs parents et grands-parents. Le tout dans leur langue maternelle, surtout. Parce que cette langue si riche, cette langue de la forêt, de la chasse, de la cueillette, comme elle l’appelle, est le coeur, le moteur même, de la culture innue et elle commence à disparaître.
Heureusement, Rita Mestokosho n’est pas la seule à s’employer à conserver ce précieux héritage. Joséphine Bacon, Naomi Fontaine et Natasha Kanapé Fontaine sont
quelques-unes des poètes innues qui livrent cette bataille à ses côtés. Leur arme : leur verbe. Leur style, bien que très différent l’un de l’autre, mais toujours engagé, a suscité de nombreux échos au Québec et même ailleurs. Cette année, Rita Mestokosho est allée à la rencontre d’autres autochtones en Colombie dans le cadre du Festival international de la poésie de Medellín. Elle est revenue revigorée de ce voyage. «À l’étranger, tu rencontres tellement de cultures que ça t’enracine dans la tienne. Quand je voyage, dans mon coeur, il y a l’esprit des nomades innus qui continue à vivre. Même si je vis dans une communauté, j’ai toujours besoin d’être en mouvement et la poésie me le permet.»