François Pagé, La Quête, Québec, juin 2012
La pauvreté a une connotation exotique pour plusieurs Québécois. Comme s’il s’agissait d’un phénomène réservé à d’autres pays, voir d’autres continents. Entre deux guignolées, une sorte d’amnésie collective prévaut, comme si on avait faim que pendant le temps des Fêtes. Un peu plus de quatre pourcent des Québécois vivent de l’insécurité alimentaire. Près de 350 000 personnes ont dû recourir à des banques alimentaires au cours de la dernière année.
Malgré la multiplication des émissions de cuisine qui vantent la saveur du litchi de Madagascar et l’avènement des foodies qui discutent d’huile d’olive comme on discuterait d’un Van Gogh, on parle beaucoup de nourriture mais peu d’alimentation. Avant de disserter sur la démocratisation de la cuisine, il faudrait d’abord s’assurer que tout le monde mange à sa faim.
De même, les politiciens qui se félicitent d’avoir évité au Québec le sort de la Grèce et qui clament sur toutes les tribunes que, grâce à leur saine gestion, le pays a été épargné par la récession, devraient se garder une petite gêne. Depuis la crise économique de 2008, l’association Banques alimentaires Québec a enregistré une hausse de fréquentation de 22 % de ses services.
De façon plus générale, la Coalition pour la souveraineté alimentaire souligne que le coût du panier d’épicerie a augmenté trois fois plus rapidement que les revenus des consommateurs au cours des dix dernières années. Or, la grande majorité des utilisateurs des banques alimentaires vivent d’abord de rentes de l’État. Dans le Bilan Faim 2011, on trouve au premier rang l’aide sociale comme principale source de revenu pour plus de 60 % d’entre eux. Suivent les pensions de vieillesse, l’assurance-emploi et les prestations de la CSST.
La solution simple serait de bonifier l’aide versée. Alors qu’en 2009 les ménages québécois ont dépensé en moyenne 7215 $ pour leur alimentation, le montant moyen des prestations annuelles d’aide sociale par ménage était de 8315 $, selon l’Institut de la statistique du Québec. Même en considérant qu’il est possible de se nourrir pour moins de 7000 $ par an, cela laisse peu de marge pour se loger et se vêtir, ce qui en toute logique n’est pourtant pas un luxe.
Mais il y a longtemps que les gouvernements de tous horizons ont laissé tomber la partie « sociale » de la fameuse sociale démocratie québécoise. La mode est plutôt aux cures minceurs quant il est question du budget de l’État. Ainsi, une taxe substantielle sur la vente au détail de la malbouffe pourrait approvisionner un fond consacré à l’accessibilité des aliments de base. À défaut d’augmenter les revenus des plus démunis, cela permettrait de réduire significativement la facture d’un panier d’épicerie considéré comme sain. Avec cette mesure, le Québec ferait d’une pierre deux coups. Selon Statistique Canada, le taux d’obésité a pratiquement doublé entre 1978 et 2005 et avoisine aujourd’hui les 25 %. Si on ajoute à ce nombre les Canadiens qui souffrent d’embonpoint, le surpoids frappe près de 60 % de la population.
Or, ce phénomène pèse lourd sur la société. D’après la Coalition québécoise sur la problématique de poids, l’embonpoint et l’obésité coûtent 30 milliards par année au Canada en soins médicaux et en perte de productivité. Le nombre de personnes souffrant du diabète a fait un bond de 50 % depuis le début des années 2000 et cette maladie touche aujourd’hui environ 500 000 Québécois.
Une taxe sur la malbouffe ferait payer aux consommateurs le coût réel des aliments malsains qu’ils achètent. L’objectif premier devrait toutefois demeurer d’en faire une accise visant à offrir à chacun la possibilité de se nourrir à sa faim, et surtout pas un moyen de remplir les coffres de l’État et d’alléger les dépenses en santé.