Régionalisation de l’immigration: un premier bilan

Sylvie Gourde, Le Tour des Ponts, Saint-Anselme, juin 2012

Malgré la tempête de neige qui soufflait fort, ce samedi soir 21 avril 2012, un heureux mélange de personnes immigrantes et de Québécois se sont rassemblées au Chalet des loisirs de St-Anselme. La soirée de danse qui marquait la fin de la deuxième année d’activités interculturelles et l’arrivée du printemps fut très plaisante pour le groupe réuni sous l’égide de Liaison Immigration Bellechasse.

Depuis juillet 2009, Bellechasse retrousse ses manches pour relever les défis de la régionalisation de l’immigration. Presque du jour au lendemain, la région a été confrontée à un important besoin de main d’œuvre pour assurer la pérennité de ses entreprises. Avec l’embauche de quelque 150 personnes immigrantes chez Exceldor, de 26 nationalités différentes, Saint-Anselme a connu le plus fort de la vague. Bardée de son dynamisme habituel, la population bellechassoise a su accueillir et mettre la table à ses invités impromptus. Après presque trois ans de mobilisation de la part des différents intervenants du territoire, un premier tour d’horizon s’impose afin de faire le point sur le chemin parcouru et dégager des perspectives nouvelles. Pour dresser cette rétrospective, Le Tour des Ponts a rencontré Manon Ruel, agente de Liaison Immigration Bellechasse.

 

Une première entente spécifique

 

Initiée par le gouvernement provincial afin de répondre aux besoins des régions, l’arrivée des personnes immigrantes dans Chaudière-Appalaches a nécessité la mobilisation de vingt-cinq acteurs locaux, régionaux et gouvernementaux pour ratifier la première entente spécifique de régionalisation de l’immigration dans la Chaudière-Appalaches (2009-2012). Celle-ci donna l’élan premier pour soutenir des projets concrets et des initiatives locales pour accueillir, faciliter l’intégration et retenir une maind’oeuvre nécessaire au développement de la région. Le comité immigration de BellechasseBellechasse a obtenu le financement nécessaire de la Conférence régionale des élus et du Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec afin de mettre en branle le projet Liaison Immigration Bellechasse en juin 2010. À quelques nuances près, son mandat fut renouvelé pour un an en juin 2011 et demeure en attente de financement pour poursuivre après juillet 2012. Liaison Immigration Bellechasse aide à faire connaître les services et les ressources du milieu, découvrir la région et la culture québécoise et faciliter l’installation des personnes immigrantes dans Bellechasse. Mais attention, ce service s’adresse principalement aux personnes ayant obtenu leur résidence permanente ou en voie de l’obtenir. D’entrée de jeu, mentionnons qu’il y a deux grandes catégories de résidence: temporaire ou permanente. À l’intérieur de ces catégories se recoupent différents statuts, car différents motifs justifient l’immigration (études, travail, regroupement familial, protection). Les statuts des immigrants Un visa confère le droit d’entrée au pays et s’obtient à l’étranger auprès du Bureau des visas canadiens. Il n’autorise pas le droit de séjour.

Un permis donne un droit de séjour temporaire au pays. Les permis se divisent en trois types: permis de séjour (visiteur), permis d’études et permis de travail. Il existe deux types de permis de travail : ouvert et fermé. Un permis de travail fermé ne permet de travailler que pour un seul employeur, tandis qu’un permis de travail ouvert permet de travailler pour tous les employeurs.

Les travailleurs saisonniers, souvent recherchés en agriculture, sont recrutés par des agences et supervisés par l’UPA. Ils peuvent revenir plusieurs années consécutives et retournent dans leur pays d’origine après chaque contrat. Ce sont des immigrants temporaires, tout comme les étudiants internationaux qui viennent étudier à l’université ou au Centre de formation agricole.

La résidence permanente donne le droit de résider au pays, d’y entrer et d’y sortir, d’y étudier et d’y travailler. Les résidents permanents partagent les mêmes droits que les citoyens canadiens, à l’exception du droit de vote et de la possibilité d’occuper certains emplois de la fonction publique. La résidence permanente est accordée selon différentes catégories. Un certain volume d’immigrants est admis dans le volet du regroupement familial, d’autres sont sélectionnés à titre de réfugiés reconnus par l’ONU. Parce que le Canada s’inscrit comme terre d’accueil, un certain nombre d’immigrants possède leur résidence permanente dès leur entrée au Canada. D’autres l’obtiendront sur place. C’est le cas de ceux qui entrent d’abord comme visiteurs puis demandent ensuite la protection du Canada parce qu’ils craignent pour leur vie. On les appelle les revendicateurs d’asile. Ceux-ci doivent entamer une démarche qui peut s’étaler jusqu’à sept ans. Dans l’attente que leur dossier soit traité, ils n’ont pas droit aux services gouvernementaux, mais on leur remet un permis de travail. Pour se trouver un emploi, bon nombre d’entre eux contactent des agences de placement. Agroba est l’une d’elles.

Pour résumer le tout, glissons quelques statistiques. En 2010, les données indiquent quelque 53 980 admissions au Québec (La barre a été ramenée à 50 000 personnes). De ce nombre, 37 530 personnes dites qualifiées ont été admises dans le volet économique. Parmi ces derniers, 3 600 personnes étaient des investisseurs. La catégorie économique s’avère prédominante, car on recherche d’emblée des candidats qui vont contribuer à la vitalité économique de la société. Le volume des immigrants admis dans le volet du regroupement familial se situait à 10 790. Quelque 2 220 admissions ont été entérinées pour des réfugiés sélectionnés à l’étranger et pris en charge par l’État. Environ 2 500 personnes ont obtenu l’asile politique sur place. Les nouveaux arrivants ont donc des parcours très diversifiés.

Il est important de noter que c’est à Immigration Canada que revient le pouvoir d’accepter ou de refuser les personnes immigrantes. Une fois cet accord obtenu, le Québec sélectionne dans ce grand bassin les candidats qui répondent à ses critères. La grille d’évaluation bonifie d’emblée les personnes qui sont âgées de moins de 35 ans, parlent français et possèdent un diplôme ou des compétences spécifiques (Le mariage n’est plus un critère qui favorise l’admissibilité). C’est aussi au Québec que revient la responsabilité de l’intégration sociale et culturelle des nouveaux arrivants. C’est là que Liaison Immigration Bellechasse entre en action sur notre territoire.

 

La mission

 

Liaison Immigration Bellechasse a le mandat premier d’accompagner les personnes immigrantes qui ont obtenu ou qui sont en voie d’obtenir leur résidence permanente. Idéalement, celles-ci doivent être arrivées au Québec depuis moins de cinq ans. Le volet 1 du service, l’accueil et l’intégration sociale, est assuré par l’agente de liaison d’Alpha Bellechasse. Celle-ci leur offre un accompagnement individualisé et confidentiel pour les aider à compléter des formulaires, trouver du logis, des meubles et voir à l’organisation de la vie au quotidien. Les ressources et les services du milieu leur sont présentés tels que le CLSC, la clinique médicale, la pharmacie, l’épicerie, l’école, les garderies, les organismes communautaires…

Le volet 2 de Liaison Immigration Bellechasse, soit la découverte du territoire et de la culture québécoise, est assuré par la chargée de projet aux séjours exploratoires du Carrefour Jeunesse Emploi. Ce volet comprend une présentation de l’histoire de Bellechasse, des expressions québécoises, etc. ainsi qu’une visite en autobus de la région afin de faire découvrir aux participants les entreprises ainsi que les attraits touristiques et économiques. Un travail de sensibilisation s’impose, c’est pourquoi Liaison Immigration Bellechasse propose des ateliers d’éducation populaire sur les droits et devoirs des locataires, sur les relations hommes/femmes, sur l’apprentissage du français, la conduite en conditions hivernales, sur les codes de la route, sur le budget, sur le fonctionnement de l’État…

L’objectif est d’amener les familles à rester dans la région, à occuper des emplois en lien avec leurs compétences, à fréquenter les écoles, à utiliser les services, à contribuer par leur vécu à l’enrichissement collectif. Bref, faire en sorte qu’ils puissent grandir et s’épanouir. Afin de favoriser la rencontre entre les immigrants et les Québécois, Liaison Immigration Bellechasse organise des activités interculturelles. La population est invitée à participer à des parties de soccer, des soirées dansantes, des buffets multiculturels.

Autant d’occasions pour tisser des liens, briser l’isolement, prendre du bon temps dans un contexte festif et agréable. La gastronomie, la musique s’avèrent d’heureux prétextes pour instaurer des échanges profitables. Ainsi, on a attiré des étudiants étrangers inscrits au Centre de formation agricole, des travailleurs saisonniers parrainés par l’UPA, des travailleurs amenés par l’agence Agroba, des personnes immigrantes qui vivent dans les municipalités avoisinantes. Parce que le phénomène est récent dans Bellechasse, les statistiques sont non disponibles. On estime qu’environ 500 personnes immigrantes travaillent et vivent dans la région.

 

La longue traversée

 

Mais l’intégration ne se mesure pas en semaines, en mois. Il faut des années pour prendre la mesure d’un pays. Cela devient la responsabilité de tous de concourir à accueillir, à sensibiliser et à éduquer afin que les nouveaux arrivants puissent s’intégrer harmonieusement. Et bien des étapes nécessaires et inévitables modulent le cheminement de chacun.

Réciproquement, il faut surpasser la peur de l’inconnu, s’ouvrir à la réalité de l’Autre. Étrangement, cela nous ramène, en tant que Québécois, à s’interroger sur nos valeurs, à revisiter notre histoire, à cerner nos susceptibilités pour mieux les dépasser et aller de l’avant. On a peur d’être envahis parce que l’on a eu beaucoup de difficultés à prendre notre place historiquement. Malgré tout, nous défendons une solide réputation d’accueil. Inévitablement, ces occasions de partage nous conduisent à une prise de conscience phénoménale sur ce que l’on a, sur ce que l’on est et sur notre capacité d’aider l’autre à se construire un chez soi chez nous. Nous n’avons pas à faire à leur place, mais plutôt à leur donner les outils pour parfaire leur autonomie et leur permettre d’exercer leur débrouillardise. Nous sommes tous invités à entrer dans l’univers des liens, à créer un climat de bienveillance dans la collectivité.

Selon Manon Ruel, anthropologue de formation, connaître les origines des nouveaux arrivants aide à mettre nos croyances en perspective et à les transmettre aux nouveaux arrivants. Ici, au Québec, on est à construire une société égalitaire, autant dans les relations de travail qu’entre l’homme et la femme. L’’individualisme est valorisé au profit d’une plus grande autonomie personnelle. Ces attitudes peuvent s’avérer choquantes pour des personnes qui vénèrent les devoirs familiaux, les traditions et qui proviennent de sociétés communautaristes dans lesquelles la communauté est plus importante que l’individu. De plus, certaines personnes immigrantes trouvent étranges l’absence de salutations lorsque deux personnes se croisent dans la rue parce que, dans leur pays, on prend le temps de s’arrêter et de questionner l’autre sur son bien-être

La différence n’est pas meilleure ou pire. Il y autant de façons d’agir qu’il y a d’individus. Nous sommes invités à partager dans un respect mutuel nos vécus respectifs. À travers les rencontres interculturelles, on découvre davantage les points en commun que les différences. Nous sommes tous préoccupés par la famille, le désir d’une vie belle et épanouissante. On partage la même gamme d’émotions entre le rire et la tristesse. Au début, les différences frappent, mais très tôt, on reconnaît beaucoup de ressemblances. Un sentiment d’appartenance fort à une communauté et des liens de proximité harmonieux ont un réel impact sur la cohésion sociale et la santé de la population.

 

Un choc culturel

 

L’arrivée subite et massive des travailleurs immigrants chez Exceldor fut particulière.

La population n’était pas préparée. Liaison Immigration Bellechasse a été instaurée par nécessité, pour répondre d’abord aux besoins des immigrants et venir en support aux entreprises ne pouvant pas gérer les besoins sociaux des nouveaux employés. Tout s’est fait rapidement et a nécessité des ajustements. Tout était à bâtir. Liaison Immigration a mis les bouchées doubles pour définir, structurer les services. Au fil des expérimentations, le mandat a été clarifié, les priorités établies. Il reste encore beaucoup de sensibilisation à faire auprès des différents acteurs tant locaux, régionaux que gouvernementaux, de la population et des personnes immigrantes pour harmoniser le tout. Mais les débuts sont prometteurs.

 

Des projets en devenir

 

Dans le sillage de ces deux premières années d’expérimentation, les pistes de solution fusent continuellement en résonance avec les besoins. Au cours des prochaines semaines, un comité verra au démarrage du projet de jumelage RÉSEAU-ROSEAU. Dès septembre prochain, des rencontres bimensuelles se tiendront entre femmes québécoises et immigrantes dans le but de créer de l’entraide et de la solidarité. Au fil des ateliers et partages, on souhaite ainsi réduire les inégalités vécues et créer un réseautage. Cette activité étalée sur deux ans, à raison de dix mois par année, sera orchestrée en partenariat avec plusieurs organismes de Bellechasse dont le Centre-femmes. On espère qu’il en découlera un parrainage entre familles québécoises  et immigrantes.

Le point culminant de ce premier bilan de la régionalisation de l’Immigration atteindra son zénith le 25 mai prochain, à Sainte-Marie de Beauce, à l’occasion d’un Forum régional. La volonté et les efforts de mobilisation se poursuivent : la Chaudière-Appalaches est la première région du Québec à organiser une Semaine de l’immigration. Une journée d’activités, le lundi 21 mai 2012, à Saint-Anselme, apparaît au calendrier des événements.
 

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