Entretien avec Aoua Bocar

Excel Touré, L’Intégr’action, Montréal, mai 2012

 

Dans quel contexte Femmes africaines – Horizon a été créé?

 

Le Réseau Femmes africaines – Horizon 2015 est né du constant que les immigrantes africaines n'étaient pas préparées pour s'adapter adéquatement à la vie québécoise. C'est pourtant nécessaire. L'une des preuves, c'est qu'il n'y a aucun Québécois/Canadiens qui va en coopération en Afrique ou ailleurs dans le monde sans être préparés à sa future vie dans ces pays. J'ai eu à participer comme consultante à la préparation des coopérants par l'Agence canadienne de développement international (ACDI). J'ai assuré la formation autant de gens destinés à de simples fonctions que de hauts cadres tels le futur directeur du Centre de recherches et de développement international (CRDI) de l'Afrique de l'Ouest, basé à Dakar au Sénégal. Mais, les immigrants africains et originaires d'autres contrées ne sont préparées ni en aval, ni en amont, c'est-à-dire ni au moment de leur départ de leurs pays, ni à l'arrivée dans le pays d'accueil. Ce qui peut placer certains dans des situations critiques, voire dramatiques qui auraient pu être évitées.

Vous savez, il y a des choses qui peuvent paraître banales, mais qui sont capitales. C'est par exemple l'orientation dans une ville, à savoir quel bus prendre et où, comment passer d'une ligne de métro à une autre pour rejoindre tel lieu, comment connaître les horaires, surtout l'hiver, et éviter de geler dehors. Une autre chose en apparence peu importante, c'est de savoir où trouver les denrées de base pour répondre à ses habitudes alimentaires, et ce, qu'on soit Québécois, Français, Chinois, Africain ou autre. Si non, on a très vite le mal du pays. À côté de ces outils élémentaires pour s'adapter à la société d'accueil, il y a bien entendu, les éléments fondamentaux tels l'ouverture d'un compte bancaire, la compréhension du système du crédit, l'accès à des services (garderies, l'obtention des prêts et bourses, la recherche d'emploi), etc…

Le souci des membres fondateurs du Réseau FAH201s était donc d'outiller les femmes africaines, dans leur processus d'adaptation à la société québécoise. Souvent des mères de famille, le soutien donné à ses femmes profitent également aux autres membres de la famille (conjoints, enfants et parents).

 

Quelles sont vos champs d'action et pour quoi?

 

Femmes africaines, Horizon 2015 (FAH2015) est donc un Réseau d'Africaines (d'origine, d'ascendance et de coeur), intervenantes en développement humain (travailleuses sociales, éducatrices scolaires, sociologues, communicatrices, linguistes, etc.). FAH2015 est officiellement une OSBL depuis 1998. Par le biais de l'information, de l'éducation et de la communication ou I.E.C. en matière de populations, FAH2015 poursuit les objectifs suivants :

1) Oeuvrer pour l'intégration pleine et entière des Africaines au Québec et au Canada;

2) Contribuer à la compréhension interculturelle garant de la cohésion sociale;

3) Développer chez les jeunes d'ascendance africaine un sentiment d'appartenance à la société québécoise et de fierté de leur origine afin qu'ils soient en harmonie avec eux-mêmes et avec les autres ;

4) Informer, éduquer et intervenir en vue de l'élimination définitive de l'excision autour de l'An 2015.

Dans une perspective féministe et panafricaine, FAH2015 a développé principalement trois volets d'action : a) Réhabiliter l'image de la femme africaine d'origine ou d'ascendance ou combattre les préjugés et contrer le racisme et les discriminations qui en découlent; b) Nos ADOS ensemble, pour un futur meilleur: ou accompagner les jeunes d'ascendance africaine surtout les filles dans le processus de leur formation identitaire; tisser des relations harmonieuses entre eux et ceux de la société d'accueil en vue de prévenir la violence; c) Éradiquer les mutilations sexuelles féminines (MGF- excision) qui est son dossier prioritaire: ou lutter contre cette forme extrême de violence faites aux femmes, et, protéger l'intégrité du corps de la fillette et la santé physique et psychique des Africaines.

Pour ce, FAH2015 organise des sessions d'information, d'éducation et de sensibilisation sous forme de conférences, de symposiums et de forums dont la dernière fut la journée de l'Africaine du10 octobre 2010 qui visait à montrer la présence et la contribution des Africaines au développement socio-économique de la Société québécoise. Pour ce, nous avons rendu hommage à des Africaines écrivaines, entrepreneures, artistes, professionnelles (notaires, linguistes, communicatrices, juges, etc.) Nous comptons réitérer cet hommage cette année dans le cadre d'un Festival de la Diaspora féminine africaine.

FAH2015 offre également des services d’appui et de référence aux Africaines d’origine, d'ascendance et de coeur. Bien entendu, le Réseau FAH 2015 n'offre pas tous ces services. Ses membres réfèrent les femmes aux services requis. Sa mission est donc l'accueil, l'écoute, l'assistance en vue de rompre l'isolement des Africaines et contribuer à leur intégration pleine et entière à la société québécoise.

 

Parlez-nous de vous?

 

J'ai coutume de dire que je suis Ouest-Africaine, c'est-à-dire de cette partie de l'Afrique avant son morcellement par la colonisation. Je suis née en Mauritanie, j'ai grandi au Sénégal avec ma tante paternelle et j'ai des frères et des soeurs de ma maman au Mali et même jusqu'au Nigeria. Le fait d'être la petite fille d'El Hadj Omar Tall n'est pas étranger à ma parenté élargie dans toute l'Afrique de l'Ouest. Panafricaniste avant la lettre, comme le dit le grand historien, joseph Ki-Zerbo, le dessein d'El Hadj Omar était de créer un grand empire qui va du fleuve Sénégal au fleuve Niger, pour contrer la domination coloniale. Il a eu à créer ce que ses adversaires français appellent eux-même « l'Empire Toucouleur d'El Hadj Omar »; espace correspond aujourd'hui à l'espace de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CDEAO) qui réunit quinze pays d'Afrique. Par ailleurs, je suis une disciple du professeur Cheikh Anta DIOP aux côtés de qui j'ai eu le privilège d'évoluer comme militante politique et comme jeune chercheure en formation, durant neuf années.

C'est dire que d'un point de vue idéologique, je suis panafricaniste, mais aussi féministe, donc engagée pour la cause africaine et le droit des fillettes et des femmes, qu'elles deviennent plus tard. Sociologue et chercheure en sciences sociales et environnementales, je suis chercheure associée à l'Institut d'Études des Femmes de l'Université d'Ottawa et membre du Collectif de recherche de la Chaire de recherche du Canada en Islam, Pluralisme et Globalisation de la Faculté de Théologie de l'Université de Montréal (UDM).

Je suis également consultante internationale en développement humain. J'ai eu à appuyer des organisations gouvernementales et non gouvernementales (ONG) du Nord et du Sud ainsi que diverses institutions de recherche et d'agences des Nations Unies, dont le FNUAP, l'UNIFEM, la FAO, l'ACDI, l'U.S.A.I.D, le Forum des Affaires de la Francophonie, le Secrétariat de la Condition féminine du Sénégal, Hydro-Québec international, le Centre Parlementaire du Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor/Ministère de l’immigration et des Communautés Culturelles, du Québec.

Conférence publique, j'ai été invitée à des rencontres (conférences, colloques, symposiums, forums, …) nationales et internationales au cours desquelles j'ai donné des communications. Ce fut le cas récemment à Tlemcen en Algérie lors de la conférence internationale sur la vie et l'œuvre de l'Émir Abd El Kader, au Sénégal lors du 3e  Festival des Arts et de la Culture Noirs (Dakar, 10 au 31 décembre 2010), en Espagne, à l'Île de la Réunion (décembre 2009), à plusieurs reprises en France (dans différentes villes telles que Lyon, Bordeaux, Montpellier, Paris), Rio de Janeiro. au Brésil, etc. Je m'apprête d'ailleurs à retourner dans ce pays où je suis invitée au Forum sur la responsabilité sociale des entreprises dans la ville de Bento Gonçalves dans le Rio Grande.

Je suis surtout une militante droits humains et de la cause des femmes qui agit pour la compréhension interculturelle en vue du vivre ensemble en harmonie tant au Québec que dans le monde. Dans la foulée de l'œuvre de mon maître à penser, feu le professeur Cheikh Anta Diop, j'essaie de faire connaître à travers conférences et mes publications l'apport des Noirs à la civilisation universelle en vue de faire reculer les frontières des préjugés et du racisme tout en développant la fierté africaine.

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