Ma tomate goûte le développement bio

Mario Bard, Bio-bulle, La Pocatière, mai 2012

Petit, je n'aimais pas les tomates: trop acides pour ma petite langue. C'est plutôt l'un de ses produits transformés que je lui préférais: le ketchup sucré! Depuis, j'ai grandi et c'est l'inverse. J'apprécie bien davantage une tomate bien fraîche. Surtout quand elle a mûri au soleil de la Gaspésie, et qu'elle est un produit bio!

Christian Côté est président des Serres Jardins-Nature. Cette entreprise de New-Richmond, dans la Baie-des-Chaleurs, fêtait ses dixièmes récoltes en 2011. Par contre, dès 1975, monsieur Côté s'intéressait aux tomates bio. « Au départ, c'était une entreprise de groupe, on était trois familles. On a construit les serres une à une, environ une par année, pour avoir un revenu et faire vivre les trois familles. On a monté à environ 0,5 hectare en production en serres dans les années 80. Et puis on avait aussi un centre de jardin. Moi je donnais de la formation l'hiver en agriculture bio pour compléter [nos revenus]. »

C'est au début des années 2000 que cinq personnes, dont Christian Côté, se regroupent pour former les Serres Jardins-Nature. Au fil des ans, elles sont devenu es le chef de fil e de la production de tomates biologiques de l'Est du Canada. Leurs produits se retrouvent entre autres dans les supermarchés IGA et Loblaws – sous la marque Choix du Président dans ce dernier – et ce, en Ontario, au Québec et en Atlantique. Le fruit rouge se retrouve même sur les tablettes de nos voisins étatsuniens sous la marque Taste of the North.

De plus, les producteurs sont pleinement reconnus dans leur milieu. En novembre 2011, Jardins-Nature a été reconnue entreprise de l'année par la Chambre de commerce de la MRC de Bonaventure, en plus d'être primée dans la section Industrie agroalimentaire. Enfin, le 12 avril, elle se classait parmi les finalistes dans la catégorie Industrie agroalimentaire à l'échelle québécoise des Chambres de commerce.

 

Bio gros joueur ou bio intègre ?
 

La demande pour des produits bio augmente chaque année. Au départ hors de prix, ces produits deviennent de plus en plus abordables au fur et à mesure que la demande croît. La population y voit en général une manière de mieux se nourrir et d'éviter les multiples agents de conservation, les hormones de croissance et autres suppléments dont est friande l'industrie alimentaire.

Qui dit bio, dit également un esprit: celui du développement durable. L’une des craintes qu'on pourrait avoir quand un légume grandit, c'est qu'il fasse de la mauvaise graine … Comme certaines entreprises.

Ainsi, quand Wal-Mart est en train de devenir la chaîne d'alimentation bio numéro un aux États-Unis, plusieurs questionnent l'intégrité des marques qu'elle vend. Elle pourrait tourner les coins ronds afin de satisfaire une clientèle friande de label bio. En Chine, la multinationale a dû reconnaître à l'automne 2011 que le label avait été utilisé de manière frauduleuse pour la viande de porc pendant 23 mois par quelques-uns de ses magasins.

Alors, peut-on voir dans la même phrase «production bio » et « grande échelle »? Avec une entreprise qui emploie 32 personnes, qui s'étend sur 12000 mètres carrés, et produit chaque année 600 000 kilos de tomates, il est clair pour monsieur Côté que cela est possible, mais à pas à n'importe quel prix. « Ce sur quoi j'ai travaillé [depuis 35 ans], c'est d'avoir des normes reconnues, puis des lois qui encadrent ces normes-là. Je pense que lorsque le cahier de charges est bien suivi, ça n'a pas rapport avec l'échelle. »

Tout est une question de qualité de la production. « De très petites entreprises qui font des paniers le font très bien. Il y a de la place pour toutes sortes de modèles. Mais tout le monde doit faire de la qualité et s'entraider pour continuer à se développer.» Monsieur Côté va même plus loin en proposant que le bio soit un véritable projet de société, question « d'assurer la sécurité alimentaire de notre pays et d'assurer une production agricole de qualité ». Selon lui, « les preuves sont faites que le bio répond à toutes ces choses-là. Il s'agit que tout le monde se mette ensemble pour l'appuyer et ça va se développer très rapidement. »

« Tout le monde » inclut bien sûr les gouvernements d'ici, qui en « font plus qu'ils n'en faisaient ». Mais le bio à grande échelle et le soutien de départ pour les producteurs, comme en Allemagne ou en Suisse par exemple, n'est pas encore dans la poche. « Quand je regarde ce qui se fait [là-bas], il y a des décisions politiques qui sont beaucoup plus courageuses qu'ici », considère-t-il.

« Je pense que dans ces pays-là, c'est un projet social où les municipalités, les régions, le gouvernement, tout le monde se met ensemble pour appuyer le développement du bio, insiste-t-il. Ici, c'est une loi d'appellation – ça se limite pas mal à ça – avec un peu de budget pour des programmes. » Des budgets qui sont devenus plus « généreux » avec le temps, « mais il manque un grand bout de décision politique », insiste monsieur Côté.

 

Quand le bio goûte le diesel

 

Dans un dossier qu'il présente sur son site internet, l'organisme Équiterre donne quelques idées concernant une augmentation de la disponibilité des produits bio québécois, en vue des consultations parlementaires sur l'agriculture qui doivent avoir lieu en 2012.

Parmi tant d'autres, un fait dérange. Entre 50 et 70% des produits bio qui sont achetés au Québec proviennent de l'extérieur de la province. Selon Équiterre, ils font en moyenne 2600 kilomètres avant d'arriver « sur notre table, pour la plupart en camion diesel polluant ». Un non-sens écologique.

L’organisme invite donc le gouvernement québécois à mettre en place des politiques d'achat local, entre autres, pour ses écoles et ses hôpitaux. L’une des réponses possibles vient également du côté de Symhiosis. Cette association regroupe sept maraîchers bio, dont font partie les Serres Jardins-Nature. Elle fait donc face à la concurrence du géant étatsunien et joue un rôle important dans le développement et la distribution à grande échelle du bio québécois.

« Le défi que l'on voulait relever, c'était d'être bio et en même temps d'être à la fine pointe de la technologie et de la gestion moderne, déclarait cet automne Christian Côté, dans le journal L’Écho de la Baie. « Je crois qu'on a réussi à faire nos preuve. Le rêve que j'avais,  c'était de prouver qu'en agriculture biologique, on pouvait avoir des rendements suffisants et concurrentiels par rapport à l'agriculture conventionnelle».

Une agriculture qui, il en est certain, a amélioré e pratiques depuis que le bio prend de l'ampleur. « Je pense que l'agriculture bio a même contribué, par son exemple, à améliorer la production conventionnelle. Pour côtoyer régulièrement ceux et celle qui pratiquent le conventionnel (il est président de l'UPA Gaspésie/ Île-de-Ia-Madeleine) c'est surtout une question de risque financier qui fait hésiter plusieurs d'entre eux à se tourner vers de pratiques bio. »

Je peux rêver: ma tomate sera un jour une bio conventionnelle.

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