Saurons-nous entendre les étudiants?

Pierre Mouterde, Droit de parole, Québec, avril 2012

Il y a des questions qui paraissent anodines et qui pourtant mettent à nu les ressorts intimes d’une société, nous faisant voir comment les principes dont elle se réclame n’ont pas grand-chose à voir avec les décisions qu’elle prend au quotidien. Tel pourrait bien être bien le cas du gel des droits de scolarité au Québec.

Car quoi de plus évident, pour une société riche comme la nôtre, que d’imaginer qu’éducation et santé puissent être gratuites ou presque ? Surtout si on en a déjà expérimenté les bienfaits au temps de la révolution tranquille ou si la chose continue à se vivre avec succès dans des contrées semblables aux nôtres.

Et quoi de plus évident que de penser que, si l’on réussit à rassembler dans la plus grand manifestation jamais réalisée à Montréal toute la fine fleur d’un pays, on devrait en tenir compte, ne serait-ce que parce qu’on prétend vivre en démocratie ?

 

Au Québec du néolibéralisme tranquille

 

Mais nous sommes au Québec du néolibéralisme tranquille et ces vérités ne pèsent plus lourd dans la balance. Les universités sont en passe d’y devenir des annexes d’entreprises assoiffées de rentabilité et leurs recteurs – salaires mirobolants en prime-  de simples managers capitalistes. Quant à ceux qui nous gouvernent, ils se trouvent dans la mire d’une commission d’enquête pour allégations de corruption et de malversation et ne s’embarrassent guère de subterfuges pour s’accrocher au pouvoir et servir les maîtres qui les y ont installés. Pas étonnant qu’ils fassent la sourde oreille aux demandes des étudiants. À ne pas même leur accorder une heure de rencontre, ni à se donner la peine de mettre quelques arguments de fond sur la table !

 

Loin d’être une utopie

 

C’est ce que nous apprennent ces luttes : le Québec pourrait être gouverné bien autrement et la gratuité scolaire, loin d’être une utopie, pourrait faire partie du modèle québécois comme un de ses plus beaux fleurons. Pour le mieux de l’immense majorité, sans pour autant que la province s’endette outre mesure puisqu’elle dispose des ressources pour y parvenir : droits miniers, impôts plus progressifs, taxes sur les profits des entreprises, etc.

Alors comment comprendre cette fermeture, cette mauvaise foi et ces refus obstinés si ce n’est en admettant qu’aujourd’hui ceux qui nous dirigent ne le font qu’en fonction d’intérêts bien comptés n’ayant rien à voir avec ceux de la majorité. Se contentant de reprendre à l’aveugle les rengaines économiques à la mode, celles qui sont pourtant depuis des années synonymes de crises, d’inégalités grandissantes et de déséquilibres environnementaux.

Il est vrai qu’ils peuvent compter avec la complicité d’une poignée de grands médias ainsi qu’avec cette prudence feutrée derrière laquelle, faute de points de repère assurés, tant encore se réfugient. Sans parler de ces tribunaux aux ordres qui, au nom d’un droit qu’ils interprètent à l’aune de leurs propres obsessions, ne se portent qu’au secours des plus puissants.

C’est cela qui doit changer. C’est cela que les étudiants nous donnent envie de questionner avec toute la fougue et la créativité dont ils sont capables. Saurons-nous les entendre, nous laisser enfin emporter par leurs désirs de printemps ?

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