Gentilly-2 est-elle essentielle à l’économie de la région ?

Mathieu Max-Gessler, La Gazette de la Mauricie, avril 2012

Depuis sa mise en service en 1983, la centrale nucléaire Gentilly-2 a toujours fait couler beaucoup d’encre. Mais à quelques semaines – à moins d’un nouveau délai – de la réponse tant attendue du gouvernement du Québec quand à sa réfection ou son déclassement et après le premier anniversaire de l’accident nucléaire de Fukushima, au Japon, la cadence s’accélère. Opposants et supporters se renvoient la balle, argument par argument, comme une partie de ping-pong. Et dans ce débat qui s’éternise, même les chiffres ne s’entendent pas…

Contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre, plus le gouvernement se rapproche de la date où il devra trancher sur l’avenir de Gentilly-2, plus les coûts de sa réfection sont nébuleux. En 2004, dans un document présenté devant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), Hydro-Québec prévoyait une enveloppe de 1,2 milliard $, un montant qui est ensuite passé à 1,9 milliard $.

Or, cette estimation n’est plus à jour, selon Luc Vermette, président directeur-général de la Firme Johnston-Vermette, une firme d’ingénierie trifluvienne impliquée dans le secteur de l’énergie nucléaire. « Hydro-Québec n’a pas indexé les coûts de la réfection de Gentilly-2, explique-t-il. Selon les informations qui sont disponibles sur d’autres projets en Corée du Sud et à Point Lepreau, au Nouveau-Brunswick, on estime que ce sera plutôt de l’ordre de 2,5 milliards. »

Voire plus… un article paru dans La Presse le 24 mars dernier porte l’estimation à plus de 3 milliards $, un montant qui a déjà été en partie dépensé par Hydro-Québec. Mais pour Jean-Martin Aussant, député de Nicolet-Yamaska à l’Assemblée Nationale, cela pourrait être beaucoup plus. « Partout où il y a eu des réfections comme ça, les coûts ont toujours doublé ou triplé, avertit-il. Ça, c’est sans compter les retards et les dépassements de coûts. Je crois que c’est très conservateur de dire que Gentilly-2 coûterait 5 à 6 milliards. »

 

Désaccord sur les retombées

 

Difficile aussi de se faire une idée claire sur l’ampleur des retombées économiques pour la Mauricie et le Centre-du-Québec. Sur un total de 800 millions $, 200 profiteront à ces deux régions. En termes d’emplois, Hydro-Québec annonce, sur son site internet, la création de 800 emplois supplémentaires pour la durée de la réfection, en plus du maintien des 800 emplois actuels. Des chiffres réducteurs, aux yeux de Luc Vermette, qui prévoit plutôt des retombées directes, indirectes et induites de 410 m$ et la création de 860 emplois indirects induits.

Mais qui dit réfection dit diminution des activités… donc moins d’emplois. Plusieurs opposants à la survie de Gentilly-2 croient ainsi que tous les 800 employés de la centrale ne pourront pas conserver leur travail pendant sa réfection. Qui plus est, selon une étude du Mouvement Sortons le Québec du nucléaire écrite par François A. Lachapelle, qui a travaillé pendant 22 ans pour Hydro-Québec, 700 emplois sont réellement permanents à Gentilly-2, en raison de la diminution de son efficacité au fil des ans. Les activités de la centrale ont d’ailleurs été interrompues pendant cinq jours en juin 2011 en raison d’une fuite d’eau lourde, puis de la fin août à la fin décembre, soit pour une durée de quatre mois, pour en renforcer la sécurité, suite à l’accident nucléaire de Fukushima.

« Le nombre exact d’emplois directs est difficile à déterminer, reconnaît Jean-Denis Girard, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Bécancour. Pour le roulement standard de la centrale, ça prend 700 employés. Mais vu qu’il y a toujours des rénovations et des travaux à faire, en plus des formations à donner, on estime qu’il y a une moyenne de 800 personnes qui travaillent à Gentilly-2. »

 

Des alternatives intéressantes… mais pas de plan

 

Serait-il possible de remplacer Gentilly-2 par des parcs d’énergie éolienne et solaire ? L’exemple de l’Ontario prouve que oui : avec des investissements de 7 milliards $ dans le développement d’énergies renouvelables, le gouvernement McGuinty prévoit la création de 16 000 emplois directs et indirects. Si l’argent prévu par Hydro-Québec pour la réfection de Gentilly-2 était dépensé de la sorte, plus de 4 500 emplois directs et indirects seraient créés dans la province.

Mais la part du gâteau qui reviendrait au Coeur-du-Québec ne serait peut-être pas aussi alléchante qu’elle le semble de prime abord. Selon Bernard Saulnier, auteur du livre L’éolien au cœur de l’incontournable révolution énergétique, pour remplacer Gentilly-2, qui a un potentiel de 675 mégawatts (MW) et fournit 5 térawattheures (TW-h) par an à la province, il faudrait 700 éoliennes avec un potentiel de 2 000 MW. En termes d’emplois, cette avenue est cependant moins intéressante pour la ville de Bécancour : environ 350 seraient créés. Toutefois, « si on pouvait garantir pendant plusieurs années des taux d’installation de 5 à 600 MW de capacité éolienne installée par année, on pourrait créer suffisamment d’attrait industriel pour qu’environ 12 emplois permanents par MW installés annuellement soient créés en permanence », précise M. Saulnier.

Jean-Martin Aussant, député de Nicolet-Yamaska à l’Assemblée Nationale, croit toutefois que l’implication de sa région dans le développement des énergies verte ne doit pas se limiter à la production. « On peut faire de la recherche et produire des pales ici, ça ne veut pas dire qu’il faudrait faire toute la production. Le but, c’est d’avoir le même nombre d’emplois, pas la même production locale. » Le député rappelle également que le démantèlement de Gentilly-2 permettrait de créer des emplois sur une période beaucoup plus longue que celle prévue pour sa réfection.

En plus de l’énergie éolienne, M. Aussant croit que la biomasse, disponible en grande quantité en Mauricie, pourrait être transformée dans le parc industriel de Bécancour. « On pourrait développer des technologies du bois, des centres de recherche en nanotechnologie. Des idées d’emplois à trouver, il y en a autant à découvrir que de secteurs d’énergie. » La Ville de Nicolet, au Sud-Ouest de Trois-Rivières, s’apprête d’ailleurs à développer une petite centrale photovoltaïque (solaire) de 3 MW, facteur d’utilisation inclut. « C’est un projet-pilote, explique le maire, Alain Drouin. Ça va permettre d’explorer le potentiel de l’énergie solaire, de faire de la recherche là-dessus. » Le projet est présentement en évaluation à l’Agence de l’efficacité énergétique, qui relève du ministère des Ressources Naturelles et de la Faune.

Jean-Denis Girard, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Bécancour, en faveur de la réfection de Gentilly-2, ne s’oppose pas au développement de l’énergie éolienne, au contraire. « C’est une énergie alternative très intéressante et oui, il faut la développer éventuellement… mais pas nécessairement au détriment de Gentilly-2. Quand on aura une expertise avec l’éolien et les données qu’il faut, on sera en mesure de démanteler la centrale et on aura des alternatives fiables. Mais aujourd’hui, nous ne sommes pas prêts. Il faut un plan d’affaires : on parle de milliards de dollars ! »

Même ton chez Maurice Richard, maire de Bécancour : pas question d’abandonner les 800 emplois que représente Gentilly-2. Il ne croit pas non plus que le scénario du déclassement puisse réellement compenser pour la perte d’emplois. « Si on déclasse, il faut d’abord canner la centrale pour qu’elle perde de sa toxicité, explique-t-il. Ça risque de prendre 30 à 40 ans et pendant tout ce temps, ça va générer peut-être 50 emplois, tout au plus, pour la surveiller. »

Déclassement ou réfection ? La décision est entre les mains du gouvernement du Québec, qui attend de savoir à combien s’élève la facture pour la réfection de la centrale de Point Lepreau, au Nouveau-Brunswick. Ces coûts s’élevaient déjà à 1 milliard $ il y a un an, sur une enveloppe initiale de 1,4 milliard $. Alors que le gouvernement Charest est critiqué pour sa mauvaise gestion de la dette du Québec et que le spectre d’élections se fait de plus en plus présent, il y a fort à parier qu’il n’a guère hâte de prendre cette décision.
 

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