François Pagé, La Quête, Québec, février 2012
Le Canadien de Montréal occupe à lui seul 21 fois plus d'espace dans les médias québécois que la pauvreté, les ainés et les autochtones réunis, selon le Bilan 2011 d'Influence Communication.
Pour Daniel Giroux, secrétaire général du Centre d'études sur les médias, ces données n'ont rien de surprenant : « Certains sujets sont plus rentables que d'autres. Les grands médias sont généralement des branches d'entreprises beaucoup plus grandes et vivent essentiellement de la publicité. Ils ont des contraintes commerciales évidentes. »
Ainsi, même en cette année d'élections fédérales, de protocole de Kyoto, de gaz de schiste, de Plan Nord et d'Indignés, la pauvreté et l'environnement mis ensemble peinent à obtenir 2 % de la couverture médiatique. À titre comparatif, les faits divers et les sports accaparent conjointement près du quart des nouvelles.
C'est dans la presse alternative qu'il est possible de s'informer sur les thèmes plus négligés. « La première caractéristique d'un média alternatif est la volonté d'offrir des sujets différents traités avec des perspectives originales », explique Daniel Giroux. De cela découle le second trait des médias alternatifs : l'indépendance économique. « La plupart sont financés essentiellement par les lecteurs et de petites subventions communautaires, et fonctionnent grâce au bénévolat. Et c'est bien ainsi ! Cela leur permet de préserver leur vocation », commente le chercheur.
Selon lui, le ton souvent critique et engagé adopté par les médias alternatifs tels L'Aut'Journal, Presse-toi à gauche ou Droit de parole, est ce qui leur donne leur valeur spécifique.
Pierre Dubuc, directeur de L'Aut'Journal, partage cette opinion. « Nos lecteurs peuvent étoffer leur compréhension des sujets et développer leur argumentation. Cela enrichit le débat social. » S'il concède d'emblée que lire uniquement des médias alternatifs ne serait pas suffisant pour être bien informé, il garantit que son journal ne fait pas que dans la chronique. Il se réjouit d'offrir toujours une couverture du monde syndical, un créneau que la plupart des grands médias ont abandonné depuis quelques années.
Bien que L'Aut 'Journal affiche, aux dires même de son directeur, un parti pris progressiste et souverainiste, M. Dubuc se défend bien de ne pas respecter l'objectivité journalistique. « Les faits que nous présentons sont tous avérés », tonne-t-il.
Il dénonce au passage « l'hypocrisie des grands médias qui prétendent à la neutralité tout en promouvant les intérêts cachés de leurs propriétaires ». « Ce n'est un secret pour personne que La Presse est fédéraliste et que Le Devoir est un peu plus à gauche et souverainiste », objecte toutefois Nathalie Collard, journaliste à La Presse. « Mais la ligne éditoriale ne s'applique pas à la salle des nouvelles », ajoute-t-elle.
« En 10 ans à La Presse, dont 5 ans comme éditorialiste, jamais personne ne m'a dit quoi écrire. Il ne faut pas tomber dans les théories du complot », affrrme la journaliste. « Les intérêts de Power Corporation dans le pétrole albertain qui détient La Presse par le biais de Gesca n'ont pas empêché la parution d'articles pas très tendres envers les sables bitumineux. »
Mme Collard admet néanmoins que certains sujets mériteraient plus d'éclairage que ce que leur accordent les grands médias. Pour Roland-Yves Carignan, directeur de l'information au Devoir, il est clair que pour être bien informé, la consommation de la presse alternative est incontournable. « On y trouve une attitude critique qui s'éloigne des discours institutionnels habituels. J'en lis plusieurs quotidiennement. »
« La saine information des citoyens passe par la lecture de sources diversifiées, qu'elles soient alternatives ou non », rappelle-t-il. Selon lui, cette exigence est d'autant plus facile à respecter que l'Internet permet aujourd'hui d'accéder rapidement à une multitude de médias d'information.
L'avenir des médias alternatifs est d'ailleurs intimement lié au Web. L'avènement de l'Internet a coupé drastiquement dans les coûts de production et de distribution des journaux. Si bien que le Centre d'études sur les médias a enregistré une hausse importante du nombre de journaux disponibles depuis quelques années. « Cela veut aussi dire qu'ils sont maintenant en compétition avec une quantité astronomique de sites et de blogues. Il faut que tu sois drôlement original pour te faire remarquer sur Internet », nuance toutefois Nathalie Collard qui tient « Le Blogue Médias » sur LaPresse.ca.