Louis Philippe Pelletier : Pianiste réputé, musicien humaniste, voisin

Jocelyne Aird-Bélanger, Ski-se-Dit, Val-David, février 2012

En voguant sur Internet pour une recherche sur la musique contemporaine au Québec, je suis tombée par hasard sur une musique de Claude Vivier interprétée par un pianiste de grande réputation, Louis-Philippe Pelletier. Louis-Philippe Pelletier, le même qui vit ici dans notre village, que l’on croise souvent et que l’on connaît si peu ? Je me suis alors demandée ce qu’était la vie d’un musicien ? Comment on le devient ? Quel genre de travail exige une carrière de soliste et d’interprète de la musique d’hier et d’aujourd’hui ?

C’est avec ce bagage d’interrogations assez élémentaires que Louis-Philippe a accepté de me recevoir un beau jour froid et ensoleillé de janvier dans la maison chaleureuse où il vit avec Annie Germain- son amie, sa conjointe. Nous avons eu une rencontre extrêmement intéressante où il a répondu à mes questions de manière très aimable et très concise. Voici un homme qui a approfondi son art à fond, qui a lu, étudié, enseigné et finalement vécu la musique depuis sa première enfance et qui sait communiquer sa force tranquille de manière très convaincante.

Tout petit déjà, il était irrésistiblement attiré par la musique. Il se souvient que vers ses 3,4 ans lorsque sa grand-mère écoutait la messe à la radio, il s’avançait chaque fois vers l’appareil d’où émanaient le chant choral et l’orgue. Il habitait Val-David dans son enfance et ce sont les soeurs de Ste-Anne qui l’ont initié au piano dès l’âge de cinq ans. Sa mère aimait passionnément la musique, son père chantait. Ses parents ont toujours encouragé son talent malgré de modestes revenus. De retour à Montréal à l’adolescence, il a continué ses études musicales au Conservatoire de musique. Il y a suivi, entre autres, les cours d’analyse de Gilles Tremblay avec pour confrère, un certain Claude Vivier qui lui dédia un jour une de ses oeuvres. À l’époque, pour gagner sa vie et par plaisir, il accompagnait à l’occasion des auteurs compositeurs-interprètes enthousiasmés par l’engouement que l’art de la chanson suscitait alors. Il a, entre autres, composé la musique d’une chanson de Clémence Desrochersintitulée : Cet été, je ferai un jardin…

Il a étudié le piano à Montréal avec la pianiste d’origine ukrainienne Lubka Kolessa avant de partir pour Paris, avec sa jeune famille, afin de poursuivre ses études pianistiques. Il étudiera trois ans avec Claude Helffer qui avait une connaissance encyclopédique du répertoire classique et contemporain. Sa vie de musicien a été remplie par des concerts, des tournées et sa carrière parallèle d’enseignant à l’université McGill pendant 24 ans. Comme il le recommandait à ses étudiants, il a continué à lire, à apprendre deux ou trois langues, à améliorer sa culture et à approfondir ses intérêts. Et finalement, il est revenu un jour à Val-David…

Les commentaires élogieux sur ses interprétations ont été nombreux et diversifiés. On peut les retrouver sans effort sur le web où on peut lire entre autres : « Louis-Philippe Pelletier est l’un des plus grands interprètes d’oeuvres de compositeurs canadiens et de la Seconde École de Vienne. Le chef-d’œuvre pour piano Shiraz du Québécois Claude Vivier a été composé spécifiquement pour lui, de même que Les Variations Parallèles de Michel-Georges Brégent, oeuvres toutes deux enregistrées sous étiquette Pelléas. En 1999, Louis-Philippe Pelletier a entrepris l’enregistrement des oeuvres complètes pour piano solo de Debussy et a donné cette intégrale en récital à Ottawa – à deux reprises – ainsi qu’à à Montréal. Il a remporté le Premier Prix au prestigieux Concours international de piano Arnold Schoenberg à Rotterdam en 1979 et, en 1980, il a été consacré « Artiste de l’année » par le Conseil Canadien de la Musique, conjointement avec la soprano Teresa Stratas. »

En 2005, dans la série « Chemins vers la nouvelle Musique » de la SMCQ, il donne trois récitals respectivement constitués des Douze Études de Debussy, de l’intégrale Schoenberg, Berg et Webern, et des trois sonates de Charles Ives. En 2008, il interprète Petites Esquisses d’oiseaux et La Fauvette des jardins d’Olivier Messiaen au Festival de Lanaudière.

Pour préparer un programme de concert si imposant, il a dû travailler plus de dix heures par jour pendant des mois (nombreuses lectures, analyse des oeuvres, mémorisation). Le pianiste doit posséder ses pièces jusqu’à ce que tout doute disparaisse, que l’œuvre lui soit entrée en quelque sorte dans la peau et qu’il n’ait plus aucun problème à résoudre pour rendre la musique écrite par le compositeur. Sans cette préparation exhaustive, la prestation de l’artiste manque de conviction et ne réussit pas à susciter l’adhésion emballée du public. La maîtrise des oeuvres sans perte de concentration, est un processus constant qui se développe avec le travail et les années.

La musique est un art qui se développe dans le temps. Une pièce musicale, qu’elle dure cinq, dix ou 30 minutes, est pratiquement impossible à composer sans avoir élaboré un concept, une trame de fond. L’interprète doit comprendre ce filon et lui donner vie, le rendre audible, le faire ressentir. Lors du récital, le soliste a mémorisé toutes les partitions avec sa tête, son coeur, ses bras, ses doigts pendant toutes ces heures de répétitions inlassables. Seul sur scène avec son instrument, totalement concentré sur sa pièce, il entend, malgré tout, chaque petit bruit issu de la salle- les toux, les bruissements de papier, les mouvements des auditeurs et, bien sûr, ses propres erreurs. Lors des répétitions qui précèdent l’exécution d’un concerto pour piano et orchestre, il y a un travail préparatoire « concerté » entre le chef et le soliste. Ultimement toutefois c’est le chef d’orchestre qui devra suivre et accompagner au plus près le soliste. Cela suppose une autorité certaine que Pelletier possède indiscutablement. Avant la prestation, il y a toujours un certain stress qui est compensé à la fin par la satisfaction du travail bien fait et le plaisir d’avoir partagé et fait vivre la musique.

L’importance qu’a pris le disque dans la carrière des musiciens influence l’approche des interprètes face à la musique. Ils donnent souvent l’impression d’être plus prudents, de moins se lancer ou se laisser emporter lors de leurs concerts. On sent comme une tension, une peur de se tromper qui était beaucoup moins évidente antérieurement. Il faut bien admettre cependant que c’est un milieu impitoyable et de plus en plus compétitif où il est particulièrement difficile de gagner sa vie. Pelletier a donc toujours considéré primordial de ne pas leurrer les étudiants en musique et de leur donner l’heure juste quant à leurs possibilités personnelles.

Le métier de pianiste, surtout soliste, est très exigeant physiquement car il contraint à rester assis de nombreuses heures, rivé à son instrument. Pour pallier à cela, Pelletier a toujours beaucoup marché, jardiné, bricolé, travaillé à sa maison ou fait du ski de fond. L’été dernier, il était à préparer un nouveau programme avec la musique de Rameau, Debussy et Schuman pour de futurs récitals lorsque sa santé lui a joué un vilain tour. En attendant que sa main droite reprenne de sa souplesse et de sa vélocité, il crée des tableaux à la peinture à l’huile comme il le fait depuis longtemps. Il continue sa vie intellectuelle si riche, entouré de murs de livres sur la musique et toute une variété de sujets.

Je suis repartie de cette rencontre, enrichie et heureuse d’avoir rencontré un musicien authentique qui parle de son art de manière sereine et totalement humaine. Selon son conseil et pour mieux connaître son oeuvre, il convient d’écouter sa musique disponible aussi bien sur disque et sur Internet en espérant pouvoir entendre son dernier programme ici même dans un avenir rapproché.

 

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