Parler du suicide pour vivre mieux

Marie-Lise Rousseau, L’Itinéraire, Montréal, le 1er février 2012

Génération pendue raconte l'histoire de Mael, une adolescente de Sept-Îles en lutte perpétuelle contre ses idées suicidaires. Pas facile de s'en défaire quand 12 de ses proches ont commis l'irréparable. Génération pendue, c'est aussi l'histoire de Myriam Caron, son auteure, qui a romancé son vécu pour faire taire le tabou autour du suicide. Dans le cadre de la Semaine de prévention du suicide, du 5 au 11 février, L'Itinéraire l'a jointe par téléphone à Sept-Îles, sa ville natale.

« Je me fais des entailles avec mon Exacto, je mets un peu de pression sur la lame quand je passe près de ma veine sur mon poignet, celle qu'il ne faut pas couper. » Dès le premier chapitre, Myriam Caron nous amène au plus profond de la détresse de Mael, 14 ans. Si l'écriture est si crue, c'est parce que ces lignes ont été écrites alors que l'auteure avait le même âge, en 1988.

« À 14 ans, j'ai décidé d'écrire un livre jusqu'à l'an 2000. Je voulais voir comment ma pensée cheminerait, comment mon style d'écriture et mon personnage évolueraient. » Le projet d'écriture de l'adolescente s'est transformé en un roman publié chez Leméac en 2011 après le suicide d'un cousin de l'auteure. « Il y avait vraiment trop trop trop de suicides autour de moi, explique-t-elle. J'ai alors relu mes notes, j'ai commencé à les taper à l'ordinateur et c'est là que le livre a pris forme. »

Comment écrire sur un sujet aussi sensible que le suicide ? « Avec nos tripes, avec les vraies émotions, avec les vrais mots, même si ça fait mal à dire », tranche l'auteure aujourd'hui âgée de 37 ans, qui s'est donné pour mission de briser le silence autour du suicide. Mission accomplie avec Génération pendue, pour lequel elle reçoit encore des courriels la félicitant de « dire enfin ce que tout le monde pense ». Mais le suicide reste un sujet tabou. En 2008, le film Tout est parfait (réalisé par Yves-Christian Fournier) relatant un pacte de suicide chez un groupe d'adolescents avait été classé 16 ans et plus par la Régie du cinéma. « On a préféré le cacher à son public cible en pensant qu'il donnerait le goût aux jeunes de se suicider, mais c'est tout le contraire ! », s'indignait Claude Legault, qui tient un rôle dans le film, dans les pages de ce magazine en octobre 2010.

Une opinion partagée par la romancière, qui n'en peut plus des silences autour de tant de souffrance. D'autant plus que Myriam Caron ne définit pas son livre comme une histoire sur le suicide, mais plutôt sur l'espoir. « C'est un livre sur la vie, qui crie « Je veux vivre!», insiste-t-elle.

Parler du suicide, c'est également la mission que se donne l'Association québécoise de prévention du suicide, notamment durant la Semaine nationale de prévention du suicide du 5 au 11 février. Sous le slogan « Ici, on tient à chacun. Le suicide n'est pas une option », la semaine veut briser la « tolérance du suicide » qui ferait partie de la culture québécoise. « À la place, valorisons la demande d'aide », suggère l'association.

Myriam Caron se souvient qu'un simple mot d'encouragement comme « je suis avec toi, je te lâcherai pas » lui donnait une raison de s'accrocher lors des moments les plus sombres. L'auteure le répète en entrevue : l'envie de se suicider est l'envie de mettre un terme à une situation. Pas à sa vie. « Parce que tout finit par passer. La douleur, les deuils… un moment donné, ça passe comme un gros nuage qui s'éloigne, raconte-t-elle d'un ton serein. Et soudainement, il fait bon vivre. On apprend à vivre au jour le jour avec les petits bonheurs, à apprécier tout ce qu'il y a autour de soi et à vivre le moment présent. »

Myriam Caron n'en veut pas à la société et ne la tient en aucun cas responsable du taux de suicide au Québec, un des plus élevés au monde. Mais elle reproche ce besoin que les Québécois ont de toujours être heureux, de toujours répondre « ça va bien » quand leur demande. « Ce que j'ai compris avec toutes ces années, toutes ces discussions sur le suicide et toutes les souffrances que j'ai pu vivre, c'est que ce que j'ai vécu m'a permis de nager dans ce que j'appelle aujourd'hui un océan de bonheur. Plus tu descends profond dans tes souffrances, plus tu arrives à les comprendre. Plus tu as pleuré, plus tu as creusé ton gouffre, plus ce trou est rempli de larmes, donc d'un océan dans lequel tu peux nager et être enfin heureux », image l'artiste, soulignant que cette souffrance permet de grandir.

« Il faut savoir ne pas rester dans le négatif et ne pas brouter ses souffrances comme si on était une vache ruminante », poursuit Myriam Caron en riant. Le rire et l'auto dérision sont des mécanismes de défense ô combien efficaces pour passer au travers des épreuves et celle du suicide n'y fait pas exception. Pour sa part, Myriam Caron se plaît à voir la « faucheuse de vie » comme « une grosse bibitte noire » qui lui rend visite à l'occasion. « Quand elle vient s'asseoir à côté de moi, je la regarde et lui dis : « Eh, ça fait longtemps que t'es pas venue me voir ». Je lui demande, « Bon qu'est-ce que tu viens m'apprendre aujourd'hui ? ». Une bibitte que l'auteure a apprivoisée au fil du temps et dont elle n'a plus peur.

Ces périodes suicidaires lui servent désormais à faire du ménage dans sa vie. « Des fois, ce sont des petits empoisonnements qu'on a dans notre vie, qui s'accumulent et qui font qu'on se débat et qu'à la longue on explose. » Après avoir fait ledit ménage, qui peut autant consister à s'éloigner d'une influence négative qu'à régler un problème au travail, un nouveau bonheur s'installe. «Parce que chaque personne qui veut se suicider ne crie pas « Je veux mourir » ; il crie « Je veux vivre mieux. »
 

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