Winä Jacob, L’Indice bohémien, Rouyn-Noranda, février 2012
C'est parfois dans les détails que l'absolu est visible. En observant le microscopique, il est parfois possible d'y voir le plus grand, ou encore de le comprendre, et d'en tirer des enseignements. À la mi-janvier, un groupe d'illuminés de Val-d'Or s'est mis en tête de participer à un concours, sur Internet afin de faire venir un concert de Tom Waits en Abitibi-Témiscamingue. L'idée est fort simple puisque tout le monde peut y inscrire la ville de son choix. Les illuminés l'ont fait avec la leur dans le but de démontrer qu'une petite ville, une région, peu accumuler assez de votes pour attirer un artiste international de son choix dans sa localité – précisons que rien n'engage l'artiste, qui peut accéder ou non à la demande. Après plus d'une centaine de votes, de nouveaux messages sont apparus dans les médias sociaux : cette fois, c'était Rouyn-Noranda qui réclamait son concert du même artiste, le pourtant plus ou moins connu Tom Waits.
Assez anecdotique, vous en conviendrez ! Les commentaires suivant cette deuxième mise en nomination régionale sont par contre un peu moins du domaine de l'anecdote puisqu'ils se répètent dans d'autres sphères. Il a entre autres été mentionné que « si Val-d'Or a X nombre de votes, c'est certain qu'on peut faire mieux » on a pu lire quelqu'un se demandant « pourquoi voler les idées des autres ? » un autre, plus brillant, s'est interrogé : « Au lieu de diviser le vote, pourquoi on ne travaille pas ensemble ? »
La région a un bel historique de guerre de clochers, de tirage de « couvartes » et de crêpage de chignon. De tout temps, chaque municipalité a travaillé à son amélioration individuelle, ce qui peut être sain puisqu'il en va parfois de sa survie. Chaque ville s'est fabriquée un créneau en fonction des ressources naturelles, matérielles et humaines qu'elle possédait. Rouyn-Noranda est devenue la capitale du cuivre ; Val-d'Or, celle de l'or ; Amos, celle de l'eau, et ainsi de suite. Ce type de développement n'est pas propre à l'Abitibi-Témiscamingue, bien au contraire. Pourtant, la région aurait pu faire autrement et s'inventer au autre modèle.
Est-ce le propre de l'être humain de tout vouloir pour lui seul ? Le plus grand ramasse la plus grosse part et les autres se répartissent les miettes ? Ça semble partout pareil. Longueuil trouve que Montréal lui fait de l'ombre, Montréal dit la même chose de Toronto, qui en bave pour New York… En région, Rouyn-Noranda cache La Sarre qui fait de même envers Clerval… Là où il y a un gain, c'est au plus fort la poche !
Par contre, dans d'autres sphères d'activités, nous semblons avoir appris des erreurs du passé. En matière de tourisme et de culture, les pointes de tarte semblent parfois avoir été coupées plus équitablement. Chaque territoire s'est développé un créneau qui lui est propre et offre des services et des activités qui sont complémentaires, différentes ou à d'autres moments de l'année que ses voisins. C'est comme si dans ces domaines, on avait compris qu'il n'y aurait pas plus de visiteurs, alors à quoi bon se les voler : aussi bien les retenir plus longtemps ici. Cette douce entente reste tout de même fragile puisque dès qu'un nouveau projet est sur la table, tout un chacun lui fait les yeux doux.
Pourquoi ne pas se partager les choses plus convenablement ? Est-ce que tous les ministères doivent être basés à Rouyn-Noranda ? Pourquoi ne pas les répartir équitablement sur le territoire et ainsi permettre à toutes les MRC de retenir certains profils de travailleurs chez eux, de bénéficier de ces retombées ? Il en va de même avec le Cégep et l'Université : nous avons la chance d'avoir des pavillons partout sur le territoire ; chacun pourrait ainsi développer ses propres spécificités et non pas offrir partout les mêmes programmes.
Pour cela, il faut faire ce que, malgré les nombreuses années de cohabitation, nous n'avons que trop peu essayé : nous parler. Solution toute simple, mais si ardue à mettre en application ! Beaucoup d'instances de concertation existent, mais c'est loin d'être le cas dans tous les domaines, et parfois certains intervenants-clés ne sont pas de la partie. C'est à ce chapitre que se démarquent les milieux du tourisme et de la culture : on y collabore, on s'entend sur des objectifs communs, on échange, on partage et on travaille ensemble.
Le sentiment d'appartenance est une préoccupation dans tous les milieux. On souhaite que les gens soient fiers de leur communauté, ingrédient essentiel à la participation citoyenne, à la rétention des citoyens, à l'embellissement, etc. Bien sûr, la fierté locale est importante, mais il en va de même de la fierté régionale. L'AbitibiTérniscamingue est tricotée serrée, mais il est temps que cet attachement qui nous unit se fasse un chemin dans notre conscience et fasse en quelque sorte partie de notre quotidien. Il est temps qu'on passe de la parole aux actes et qu'ainsi les interrelations qu'entretiennent le rural et l'urbain, les villes et les villages et les territoires de MRC soient mises de l'avant. Qu'ainsi, on ne se mette plus la tête dans le sable quand survient un coup dur ailleurs ou qu'on se jalouse ridiculement quand l'autre a du succès.
Il est temps que nous comprenions que la force des autres nous pousse plus loin, et que nos décisions ont un impact ailleurs. Pour cela, il nous faut mieux planifier ensemble, mieux nous connaître. La Conférence régionale des élus de l'Abitibi-Témiscamingue prépare son nouveau plan stratégique : c'est une belle occasion de réfléchir à tout ça. C'est le temps de planifier ensemble pour que tout un chacun y trouve sa part, pour que notre développement se fasse équitablement sur tout notre territoire. Signons la Grande Paix des clochers, tricotons-nous une couverte de plus (pourquoi pas une catalogne ?) et lâchons-nous le chignon : ainsi, nous l'aurons peut-être ce spectacle de Tom Waits… mais surtout, nous aurons une meilleure qualité de vie, dans notre région.