Il a le compas dans l’œil

Pierre Pruneau, Autour de l’île, l’île d’Orléans, janvier 2012

Quand Lorenzo Picard, âgé de 89 ans, vous ouvre sa porte à la résidence Sainte-Famille, vous entrez dans le monde fascinant des maquettes en bâtons d'allumettes réalisées par un homme talentueux. Votre regard ne sait sur quoi s'arrêter : Notre-Dame de Paris (10 000 allumettes) avec ses ouvertures teintes en sombre, le Pont de Londres (15 000 allumettes) dont les travées mobiles permettent aux navires de remonter la Tamise, un splendide moulin hollandais dont les pales et le toit bougent ou cette réplique spectaculaire de l'église de Sainte-Famille qui fut sa première œuvre réalisée il y a déjà quatre ans.

Vous vous retrouvez dans la peau de Gulliver arrivant à Lilliput : vous avez l'impression d'être un géant catapulté dans un univers miniature fantastique. L'envie de toucher à tout s'empare de vous et vous retrouvez votre âme d'enfant.

La réalisation de ces pièces de collection demande à M. Picard des heures de travail minutieux : la prise de photos sur place pour certaines pièces, l'étude attentive de plans complexes pour d'autres, le sens aigu des proportions et une sûreté manuelle digne d'un grand chirurgien. Un œil exercé qui évite les distorsions au montage de la structure et une patience indéfectible lui permettent de mener à terme les projets les plus ambitieux. Il faut dire que cet artiste, originaire de Saint-Ferréol-les-Neiges, fut inspecteur en construction pendant 26 ans. Il a promené son œil de lynx à travers toute la province mettant un point d'honneur à déceler la moindre imperfection dans les structures des écoles et autres bâtiments érigés alors sous sa responsabilité. À sa retraite, en 1970, il partage ses loisirs entre la pêche sportive et l'ébénisterie qu'il pratique dans sa propre boutique. Il fabrique de nombreuses tables, armoires et même boîtiers d'horloges grand-père qui feront le bonheur des connaisseurs.

Le destin va l'amener à vivre sur l'île. Il y a quatre ans, son épouse Gilberte Roy, enseignante à la retraite, souffre d'une maladie si grave que seule la résidence Sainte-Famille accepte de l'héberger. Il se prend de fascination pour la vieille église de 1749: il s'en approche en hiver, prend de nombreuses photos et commence à la reconstruire dans leur chambre à l'aide de milliers de bâtons d'allumettes et d'une colle pour lier les mini poutres qui sèche en moins de 10 minutes. Il va y consacrer plus de 600 heures : partant de la façade, il réalise de plus en plus les dimensions imposantes de son projet qu'il va compléter au printemps suivant quand il pourra faire le tour de son modèle original en y ajoutant la cheminée et les lucarnes qu'il n'avait pas aperçues l'hiver passé. M. Picard a fait don de cette maquette de l'église à la fabrique de la paroisse.

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